Le secteur manufacturier aborde un tournant décisif. Alors qu’il ne s’est pas encore entièrement remis des conséquences de la pandémie, ce secteur est maintenant confronté à de très grandes perturbations géopolitiques et économiques. Lors de la séance plénière d’ouverture de l’événement Le pouvoir de l’unification, Stefanie Naujoks, directrice de recherche, Perspectives du secteur manufacturier, IDC Europe, ainsi qu’Annette Trenz, Helena Jochberger et Nicole Zethelius de CGI, ont présenté certains des grands défis auxquels doivent faire face les fabricants dans le marché mondial instable et incertain d’aujourd’hui et évoquent le rôle de la technologie et des données pour relever ces défis.

Le présent article expose les points saillants de notre conversation.

Écosystèmes de données, normes et cadres

Les fabricants ne pourront bientôt plus se permettre de travailler de manière individuelle. Ils devront s’intégrer à des écosystèmes et partager des données pour améliorer l’expérience client, la qualité des produits et les activités des ateliers de production. Cependant, le partage des données doit être normalisé et encadré pour garantir la souveraineté des données.

La bonne nouvelle est que plusieurs initiatives abordent la normalisation dans le contexte industriel. « Un aspect essentiel du partage de données écosystémiques est l’établissement de la confiance, qui est un sujet de préoccupation au centre de nombreuses conversations avec les fabricants », explique Stefanie Naujoks. Elle cite Gaia-X*, en Europe, comme une initiative prometteuse d’un écosystème de données qui permet le partage de données dans un environnement sécurisé et fiable tout en garantissant la souveraineté des données. Helena Jochberger, quant à elle, cite Catena-X*, autre exemple d’écosystème de données à l’échelle sectorielle. Bien qu’il s’agisse d’un exercice difficile, ces deux écosystèmes reposent sur la collaboration des entreprises pour atteindre des résultats définis ensemble et un engagement pour des objectifs communs suffisamment forts pour apporter de la valeur à leurs participants.

Le recueil de données n’est jamais un « objectif final », mais un moyen d’atteindre différents objectifs, dont le développement durable, précise Helena Jochberger. De plus, les écosystèmes de données vont devenir essentiels pour permettre aux fabricants de générer de nouvelles sources de revenus tout en opérant une transformation, ce que La voix de nos clients (VOC) CGI 2022 révèle être une priorité pour les fabricants. Elle ajoute que les écosystèmes collaboratifs basés sur les données peuvent également faciliter la résilience organisationnelle dans l’environnement dynamique et volatile actuel.

Cependant, le secteur manufacturier se transforme à un rythme beaucoup plus lent que les autres secteurs. Selon le rapport VOC de cette année, les fabricants accusent un retard de 8 points de pourcentage, par rapport à la moyenne du secteur (25 %), sur les résultats de leurs stratégies numériques. Cette lenteur est particulièrement préoccupante compte tenu des défis considérables qui nous attendent, notamment en matière de développement durable.

La valeur commerciale du développement durable

Il n’est pas surprenant que le développement durable soit au cœur des préoccupations et qu’il soit apparu comme la principale tendance et la priorité commerciale des fabricants dans les résultats du programme VOC 2022.

« Le développement durable n’est plus une valeur ajoutée, il est essentiel », déclare Nicole Zethelius, notant que les fabricants doivent répondre à la réglementation émergente en matière de durabilité environnementale et de changement climatique. « Les entreprises devront justifier à l’externe, avec des données validées, leurs activités en matière d’environnement, de politique sociale, de lutte contre la corruption et de diversité dans les conseils d’administration ainsi que les facteurs de durabilité sur la gouvernance des produits, tels que la réduction des émissions de carbone et la circularité », poursuit-elle.

Un levier important pour accélérer la transition vers des énergies plus propres est le Pacte vert, qui pousse les fabricants, les institutions financières et d’autres grandes entreprises à réduire leurs émissions de 35 % d’ici 2030. « Le secteur manufacturier doit recueillir des données environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) tout au long de la chaîne de valeur, non seulement pour signaler et réduire les risques, mais également pour opérer des changements évolutifs dans ces domaines », déclare Nicole Zethelius, et d’ajouter : « tout est dans les données exploitables. »

Dans le passé, les fabricants concevaient des produits en fonction du coût et de la performance; désormais, la durabilité et la recyclabilité constitueront des facteurs de différenciation, la technologie étant un moteur clé. « L’utilisation de technologies et de plateformes numériques permet aux fabricants de réduire les émissions de CO2 dans la chaîne d’approvisionnement, de décarboner la production et de s’engager dans des initiatives liées à la revente ou à la réutilisation des composants », explique Stefanie Naujoks. Helena Jochberger ajoute que le comportement des utilisateurs devra également être pris en compte pour repenser la façon dont les produits sont fabriqués.

Renforcer la résilience de la chaîne d’approvisionnement

La pandémie et les récentes perturbations géopolitiques ont révélé la fragilité des chaînes d’approvisionnement. « La nécessité d’adapter les chaînes d’approvisionnement pour qu’elles deviennent plus résilientes est impérative », déclare Annette Trenz. Stefanie Naujoks indique que pour certains fabricants, l’approvisionnement local peut être une option et faire partie de la stratégie globale d’approvisionnement. « Toutefois, nous constatons que les fabricants augmentent les niveaux de stock ou les “stocks d’urgence” pour éviter les arrêts de production, plutôt que de délocaliser réellement l’approvisionnement. De même, les stratégies de démondialisation échouent en raison de la montée en flèche des prix de l’énergie », ajoute-t-elle.

Les conclusions du VOC de cette année confirment que la démondialisation et le rapatriement de la production ne sont pas des macrotendances à fort impact pour les fabricants. Cependant, la moitié des dirigeants du secteur manufacturier cherchent à reconfigurer leur chaîne d’approvisionnement sous une forme ou une autre.

Pour que les chaînes d’approvisionnement deviennent plus résilientes, les fabricants doivent les rendre plus transparentes et plus agiles, déclare Stefanie Naujoks. Certaines stratégies visant à améliorer l’agilité de la chaîne d’approvisionnement prévoient des options de transport flexibles, une conception de produits reposant sur un approvisionnement multiple en composants, des stratégies de gestion des stocks comme le partage de la capacité d’entreposage et la diversification de l’approvisionnement sur les trois niveaux. Les technologies telles que l’informatique en nuage, l’Internet des objets, l’analyse de données et l’automatisation jouent un rôle clé pour permettre la résilience de la chaîne d’approvisionnement.

Faire face aux changements démographiques et sociaux

Un autre défi de taille à relever est celui portant sur les changements démographiques et sociaux, notamment le vieillissement des populations et les pénuries de talents. Paradoxalement, avec l’accélération du numérique, le secteur a un besoin urgent de compétences dans les nouvelles technologies. « Le secteur doit repenser l’intégration des populations sous-représentées sur le marché du travail et reconsidérer les nouveaux concepts d’apprentissage et de formation », explique Annette Trenz. Stefanie Naujoks ajoute qu’en plus de combler les lacunes en matière de compétences, les fabricants doivent permettre la mise en place de nouvelles méthodes de travail (à distance ou hybrides) et garantir une expérience uniforme pour tous les employés.

La main-d’œuvre actuelle étant composée de plusieurs générations, les fabricants doivent pouvoir répondre aux besoins de chaque groupe. Selon Helena Jochberger, la motivation, le leadership et un état d’esprit d’apprentissage à long terme permettront d’y remédier.

Le développement durable peut-il aider à attirer de nouveaux talents? Nicole Zethelius estime que les entreprises doivent trouver les moyens de combler l’écart de compétences et d’investir dans leurs employés et leurs communautés. « Les entreprises qui sont plus transparentes, plus inclusives et plus engagées envers leurs employés affichent des taux d’attrition plus faibles », constate-t-elle. Les entreprises plus durables attireront la « génération de l’engagement ».

Mesures concrètes pour garantir le succès de demain

  • Assurer la résilience des opérations – « Les fabricants doivent s’assurer que leurs opérations sont résilientes, non seulement au niveau de la chaîne d’approvisionnement, mais aussi de la main-d’œuvre et des opérations d’arrière-guichet. Ils doivent avoir les capacités et mettre en place des stratégies pour exploiter toute nouvelle situation », déclare Stefanie Naujoks.
  • Acquérir des données pertinentes et exploitables – Les fabricants doivent aller plus loin que la prise de décision à court terme et de la « vision étroite du carbone », souligne Nicole Zethelius. Les réglementations émergentes, l’instabilité géopolitique, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, l’essor du commerce du carbone et l’évolution du comportement des consommateurs sont autant de facteurs étroitement liés à la durabilité de l’entreprise. Des données pertinentes et exploitables peuvent aider à gérer ces changements et à stabiliser les piliers économiques, environnementaux et sociaux au sein de l’entreprise.
  • Adopter une planification des scénarios basée sur les données – Si les données sont vitales, les données contextuelles ne doivent pas être négligées, car elles permettent de construire différents scénarios. « Le monde est imprévisible, nous devons donc travailler par approximations; c’est pourquoi nous avons besoin de différents scénarios. Et même si la réalité s’écarte du scénario, l’approximation peut contribuer à nous rendre plus résilients », précise Helena Jochberger.

*en anglais