Corinne Fortuny

Corinne Fortuny

Vice-Présidente Luxe - CGI

Corinne Fortuny, Vice-Présidente en charge du secteur Cosmétiques et Luxe chez CGI, présente sa vision du marché du luxe : phygital, personnalisation des produits et prise en compte des nouvelles attentes des consommateurs. Quatre questions pour une analyse éclairée.

Les marques du luxe font selon vous face à de nouveaux défis, notamment l’internationalisation, qui crée de la complexité. Pouvez-vous expliquer ?

L’internationalisation des enseignes du luxe n'est pas une nouveauté. Ce sont même les premières marques à s'être déployées à l'international, notamment aux Etats-Unis. Chanel a par exemple très tôt développé son réseau américain de boutiques, tandis qu'Hermès ouvrait un magasin à New-York… Nous avons ensuite assisté à l'émergence des marchés asiatiques (Japon puis Chine) ainsi qu'à l'ouverture des pays de l'Est, notamment la Russie et l'Ukraine, et aujourd'hui à de nouvelles destinations comme le Kazakhstan.

La nouveauté est donc que les marques de luxe sont aujourd'hui présentes sur tous les continents et couvrent des dizaines de pays, alors que MacDonald’s, par exemple, est toujours absent de grands pays comme la Chine et la Russie.

Cette internationalisation crée de la complexité sur plusieurs plans : assortiment des collections (quels produits proposer dans quels pays, pour plaire au marché local ?) ; importance du marché gris (comment faire pour limiter la contrefaçon ?) ; gestion quotidienne du business avec des logiciels multilingues et adaptés aux législations locales (la Russie et la Chine exigeant par exemple que les bases de données soient hébergées sur leur territoire).

Comment les enseignes du luxe peuvent-elles s'adapter à cette complexité ?

L'adaptation se fait à travers plusieurs modèles, mais la lame de fond que l'on observe est double : centralisation/ localisation. Les enseignes prestigieuses comptent assez peu de boutiques, mais elles sont réparties dans un très grand nombre de pays. Ce qui signifie que le coût par boutique est plus élevé et beaucoup moins facile à amortir. D'où la rationalisation actuelle, avec, d'une part, la centralisation des services transverses, notamment dans les groupes multimarques. Auparavant, chaque groupe ou filiale avait son service financier et ses RH ; désormais, des services IT et financier à l'ERP en passant par les solutions d'encaissement, toute la chaine de valeur est centralisée, pour plus d'efficacité. Et, d'autre part, la localisation des services commerciaux : les groupes laissent une grande latitude aux pays dans leur politique commerciale - dans le respect de la marque et de son positionnement bien sûr.

C'est d'ailleurs tout l'intérêt et l'expertise de CGI : notre capacité à accompagner tous ces clients au niveau local aussi bien que sur des déploiements internationaux ; sur les structures et organisations des DSI, au siège comme dans les filiales ; en stratégie comme au quotidien, puisque nous accompagnons nos clients 24/7, grâce notamment à nos centres de services mondiaux. Nous avons la chance d'avoir des compétences réelles et anciennes, avec des experts très pointus et de différentes cultures, qui travaillent sur le sujet depuis une quinzaine d'années. Leur expérience est inestimable.

Autre enjeu pour les marques de luxe, l’e-commerce. Kering y réalise plus de 9% de ses ventes mondiales, LVMH en a tiré 3,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018. La révolution digitale est bien là ?

Oui, et depuis un moment ! Kering n'est pas un cas isolé, puisque le Web compte déjà pour près de 10% des ventes de produits de luxe et devrait représenter un quart de ses ventes en 2025. Certaines enseignes ont fait le choix de ne pas distribuer sur Internet, d’autres n'y proposent qu'une partie de leur gamme, mais le mouvement est bien là, et le digital fait désormais partie de l'écosystème du luxe. La préoccupation des marques n'est plus vraiment de rejoindre ou non des plateformes de vente, mais plutôt de s'assurer de la bonne mise en valeur de leurs produits, de la qualité des photos, etc.

S'il y a une révolution, elle concerne plutôt le phygital. Les marques de luxe sont conscientes de l'importance d'offrir une continuité de service entre le web et les magasins. Pour proposer cette expérience sans couture, elles multiplient les projets : appli en magasin pour mieux y accueillir les clients, Click & Collect avec réservation sur le site puis retrait en boutique, etc. Prenons un fort relais de croissance des enseignes du Luxe - les Millenials. Cette génération utilise le web pour tout savoir, se renseigner précisément… Mais aime aller en boutique ! Et si le produit convoité n'est pas disponible physiquement, ils souhaitent pouvoir l'étudier en magasin, avec un e-catalogue dédié, de qualité.

Quelles sont les autres attentes des consommateurs du luxe ?

Sans aucun doute, la personnalisation, c'est-à-dire la possibilité d'acheter un produit qui correspond exactement à son envie. Les marques étaient déjà passées de deux à six collections par an - plus des collections "capsules'. Cela ne suffit plus, car les clients souhaitent des objets et vêtements de plus en plus individualisés.

Pour les marques, cela représente de réels défis, de l'approvisionnement en matières premières à une production souple, adaptée, on-demand. Les acteurs du prêt-à-porter connaissent bien ce problème, mais le challenge est ici tout autre. Qu'est-ce que le luxe ? L'excellence de la qualité. Cela signifie des cycles de production beaucoup plus longs, des contraintes plus nombreuses, des matières plus rares et des exigences qualitatives, de réalisation, bien plus complexes que dans les processus industriels – d'où l'importance d'adopter des SI et solutions technologiques qui apportent cette agilité.

Une autre tendance de fond concerne les nouvelles attentes des consommateurs en matière de RSE. Les marques du luxe en ont pris conscience et réfléchissent beaucoup à leurs matières premières, notamment le cuir, avec la volonté de maitriser de plus en plus l'ensemble de la chaine de production et d'assurer la traçabilité des cuirs.

Elles développent aussi des produits bio, s'interrogent sur leur impact environnemental, réfléchissent à des écoemballages… On ne s'en rend pas forcément compte, mais les marques prestigieuses sont très réactives et savent s'adapter. On pourrait même proposer cette autre définition du luxe : l'agilité dans la continuité et la pérennité de l'excellence !

A PROPOS DE L'EXPERT

Corinne Fortuny

Corinne Fortuny

Vice-Présidente Luxe - CGI

Corinne Fortuny est un expert du secteur du retail avec plus de 15 ans d’expérience auprés de clients de la distribution, des biens de consommations et du luxe.