Ces dernières années, les entreprises - grands groupes, ETI ou PME - ont massivement investi dans des briques technologiques réputées incontournables : WMS, ERP, BI, APS…espérant atteindre une supply chain fluide et réactive. La promesse était claire : mieux voir pour mieux agir.
Pourtant, les équipes opérationnelles passent encore trop de temps à gérer les urgences plutôt qu’à anticiper. Comment expliquer un tel paradoxe, alors que les volumes de données disponibles n’ont jamais été aussi importants ?
Pourquoi les outils actuels ne suffisent plus ?
Le problème vient de leur exploitation. Les outils existants observent très bien : ils mesurent la performance, signalent les écarts, projettent parfois des tendances. Mais ils n’aident que marginalement à identifier les causes, à simuler l’impact des aléas ou à arbitrer entre plusieurs options d’action. L’exemple de l’entrepôt illustre cette limite. Un responsable sait en temps réel que trois caristes sont absents, que le volume augmentera de 30 % en novembre, que le taux de service a baissé de 5 %. Mais sait-il ce que ces données annoncent pour demain ? Peu d’outils l’aident à en déduire l’effet d’un recrutement, d’heures supplémentaires ou d’une réallocation de ressources. La raison est simple : ces systèmes ont été conçus pour le suivi, rarement pour l’orchestration ou le pilotage prédictif.
Autre frein majeur : la fragmentation. ERP, WMS, SIRH fonctionnent en vase clos. Chacun a son langage, ses temporalités, ses niveaux de granularité. Les données deviennent asynchrones, parfois peu fiables, et leur consolidation relève trop souvent de bricolages Excel ou de rapports BI mono-domaine — une supply chain observée sans lien avec la finance, ou des RH isolées de la production.
Ce décalage touche autant les activités du siège que celles du terrain. La planification élabore des projections mensuelles ou trimestrielles, utiles pour aligner les directions, mais trop déconnectées des réalités du quotidien : absentéisme, retards fournisseurs, turnover. Conséquence : décisions tardives, heures supplémentaires non planifiées, recrutements en urgence, et une frustration croissante des équipes, privées de leviers d’ajustement.
L’entrepôt concentre ces tensions. Jusqu’à 60 % des coûts logistiques y sont liés à la main-d’œuvre. Les opérations y sont hyper séquencées : un seul aléa peut produire un effet domino. Et les outils de monitoring, focalisés sur la performance passée, n’apportent aucune aide pour optimiser en temps réel. Que faire lorsqu’un WMS annonce 5 000 colis à préparer, sans indiquer combien de préparateurs manquent ? Ou lorsqu’un retard de 10 % est détecté, sans projection sur le lendemain ?
Ce qui manque, ce sont des recommandations actionnables, capables de superposer charge, ressources et contraintes — coûts, délais, qualité, légalité. Les responsables logistiques arbitrent chaque jour entre trois options imparfaites : recruter un CDD, imposer des heures supplémentaires, ou réallouer des ressources entre sites. Mais aucun outil n’est capable de comparer automatiquement coûts, impacts ou délais de mise en œuvre.
Les trois piliers d’une supply chain réellement orchestrée
Pour passer du constat à l’action, il faut repenser l’écosystème data autour de trois briques structurantes.
- Des données contextualisées
Il ne s’agit plus de juxtaposer des indicateurs, mais de croiser les données entre domaines : ventes, finance, RH, production, transport, météo, marketing…L’objectif n’est pas la quantité mais la cohérence : une même réalité doit être décrite de manière unifiée dans l’ensemble des systèmes.- Des alertes réellement prédictives
Les alertes doivent être capables de détecter les écarts avant qu’ils n’impactent l’activité et d’être intégrées dans des workflows opérationnels. Cela suppose des règles explicites, un seuil d’alerte clair, un propriétaire défini et une action attendue.- Des recommandations automatisées et comparées
L’enjeu n’est pas l’IA, mais la capacité à : simuler plusieurs scénarios, estimer pour chacun coûts, délais, impacts, risques, proposer un choix argumenté et permettre l’exécution automatique de la décision dans les systèmes concernés (création d’une demande RH, déclenchement d’un ordre logistique, mise à jour d’un planning).
Mais la vraie rupture n’est pas technologique : elle est culturelle. Elle exige de passer d’une logique de monitoring à une logique d’orchestration, d'intégrer l’expertise humaine dans les modèles et d'automatiser le passage de la décision à l’action.
Sortir de la logique d’urgence n’est ni une utopie ni une affaire de technologie seule. C’est une question d’orchestration : transformer la donnée en décision, puis la décision en action.