Les entreprises manufacturières sont de plus en plus nombreuses à explorer les avantages qu’offre l’analyse pour la fabrication guidée par les données. Leur objectif consiste surtout à recueillir des données et à connecter leurs systèmes pour chaque étape du processus de fabrication afin de soutenir la croissance, de réduire les coûts et d’atteindre l’excellence opérationnelle – tout en prenant les mesures nécessaires pour bâtir un avenir écoresponsable et durable.

L’article qui suit résume une discussion de groupe au sujet des façons dont l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage automatique peuvent transformer la fabrication. Tenue lors de l’événement « Le pouvoir de l’unification », la discussion a rassemblé Marcel Mourits, expert de CGI, Alexander Daehne, directeur du secteur manufacturier de SAS en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, et Nathan Eskue, professeur en intelligence artificielle pour le secteur manufacturier à l’Université Delft, aux Pays-Bas.

Gérer les attentes

Marcel a d’abord déclaré que la croyance selon laquelle l’IA peut relever tous les défis – qu’il s’agisse d’améliorer la qualité de la production ou même de prédire le moment où les employés tomberont malades – est erronée. Mais même si l’IA n’a pas réponse à tout, elle offre des avantages considérables aux entreprises. Toutefois, son succès repose sur la mise en place du bon environnement, comme a ajouté Nathan. Selon lui, pour pouvoir tirer parti de l’IA, les organisations doivent avoir une visibilité sur leurs données, une grande maîtrise de leurs processus et les compétences nécessaires pour exploiter les données. L’IA excelle donc dans les domaines pour lesquels une organisation a déjà recueilli ou peut recueillir une grande quantité de données. Par exemple, Nathan a affirmé que l’utilisation de l’IA pour détecter et classer des objets, que ce soit au moyen de photos ou d’autres types de données destinées au contrôle de la qualité et au tri, peut entraîner des gains immédiats. Un autre avantage très apprécié de la technologie réside dans sa capacité à prédire les comportements.

« Les organisations doivent bien se préparer. Pour ce faire, elles doivent surtout recueillir les bonnes données et maîtriser suffisamment les processus pour pouvoir exploiter ces données », a précisé Nathan.

Alexander a ensuite noté que les exemples de transformations majeures réalisées grâce à l’IA demeurent rares dans le secteur manufacturier, où l’on utilise généralement l’IA pour détecter les anomalies. Par exemple, les fabricants pourraient tirer parti de l’apprentissage automatique pour identifier les causes profondes des défectuosités de l’équipement et les prédire. Une autre approche, suggérée par Marcel, consiste à mettre en place un modèle d’IA hybride dans le cadre duquel la réalité augmentée (RA) facilite la prise de décision humaine. Dans ce scénario, l’IA ne prend pas les décisions, mais fournit plutôt aux humains des renseignements utiles pour les aider à prendre des décisions éclairées. Mais Marcel a tout de même conseillé d’analyser d’abord le ratio avantages-coûts : « Exploiter l’IA dans le seul but d’exploiter l’IA, ce n’est pas toujours la bonne approche. »

Relever les défis associés à l’adoption de l’IA

Les données sont au cœur du succès de toute initiative d’IA. « L’efficacité des modèles repose entièrement sur la qualité des données d’apprentissage », a affirmé Alexander. Cependant, même s’ils disposent des bonnes données, les fabricants ont plusieurs autres défis à relever sur le plan du personnel et des processus.

  • Gestion du changement: Cette activité vise à préparer l’organisation à adopter de nouvelles méthodes de travail, à accéder aux compétences et aux formations adéquates, et à favoriser l’inclusivité pour que chaque personne puisse exprimer son point de vue. Les gens auront ainsi plus confiance en la solution et hésiteront moins à l’adopter.
  • Connaissance des méthodes d’exploitation: Les fabricants doivent acquérir une compréhension approfondie des outils qui peuvent être utiles et avantageux pour les travailleurs, des renseignements dont ils ont besoin et du moment où ils en ont besoin.

Mettre l’accent sur les gens et la culture pour optimiser les résultats

Alexander est d’avis que les organisations qui déploient l’IA à l’échelle de leurs activités entretiennent une « culture de synergie et de collaboration avec les utilisateurs finaux ». Cette façon de travailler fait en sorte que les gens qui utilisent la solution sont au courant des activités de conception et y participent. Son avantage est que les équipes de gestion du changement n’ont pas besoin d’imposer la solution aux employés. Cette approche contribue également à prévenir l’apparition d’une dynamique d’opposition entre les équipes de TI et de fabrication.

Nathan est d’accord. Selon lui, pour planifier un projet d’IA, il faut visiter les installations de fabrication, observer le processus et véritablement comprendre comment les gens travaillent et à quels moments ils prennent des décisions. Les perspectives ainsi obtenues peuvent guider la planification des aspects pratiques des initiatives d’IA.

Parallèlement, comme a ajouté Nathan, ce processus permet de confirmer ou d’infirmer les hypothèses quant à ce qui peut être fait ou non, et contribue ainsi à stimuler une véritable innovation. Il aide également à définir les « avantages réels » et les « objectifs tangibles » qui feront en sorte que l’IA aidera les gens à mieux faire leur travail, et à obtenir l’information nécessaire pour les atteindre avec succès. Il existe souvent des solutions simples qui se résument à transformer les façons dont les données et les informations sont traitées ainsi que les moments auxquels elles sont utilisées dans l’ensemble de l’organisation. Nathan a expliqué qu’en concevant les solutions selon une approche collaborative, les organisations pourraient même découvrir qu’une simple feuille de calcul Excel peut répondre à leurs besoins.

Pour vraiment centrer le projet sur les gens et la culture, il faut d’abord comprendre les besoins – non seulement le « quoi », mais aussi le « quand ».

« La croyance voulant que tout doive être en temps réel est infondée. Je préfère utiliser le terme “temps idéal”, car on n’a rien à gagner à submerger les gens de données », a affirmé Alexander.

Dissiper les craintes associées à l’IA

Certaines personnes s’inquiètent de perdre leur emploi si leur organisation adopte l’IA. Selon Alexander, en tenant compte de cette inquiétude et en tentant de l’atténuer, il est possible de créer une culture d’entreprise plus réceptive à l’IA. L’une des façons d’y parvenir consiste à inviter les principaux utilisateurs à des ateliers durant lesquels on explore et discute les cas d’utilisation d’autres entreprises. Ces ateliers créent un environnement où les gens sont à l’aise d’exprimer leurs préoccupations, et permettent de mieux comprendre les priorités et la faisabilité de différentes approches en fonction des résultats escomptés et des indicateurs clés de rendement. Une fois qu’un ou deux cas d’utilisation mineurs auront été mis en place, ils inspireront confiance aux employés, piqueront leur curiosité et leur donneront envie d’explorer d’autres possibilités et applications.

Comme le mentionne Nathan, les craintes sont moindres lorsqu’une entreprise précise d’emblée : « Mettons de l’avant une culture axée sur les données, qui se soucie de l’utilisation des données pour prendre des décisions éclairées. Si vous adoptez une telle approche et qu’il y a de l’éducation en termes de ce que l’IA est et n’est pas, ce qu’elle peut et ne pas faire, les craintes seront dissipées. Cette ouverture est essentielle. » Les fabricants doivent faire preuve de transparence quant à leurs motivations, surtout s’ils souhaitent principalement réduire la charge de travail des employés pour qu’ils puissent se concentrer sur le perfectionnement de leurs compétences et sur des tâches à valeur ajoutée qui profiteront aussi à l’entreprise.

L’avenir de l’IA dans le secteur manufacturier

À l’heure actuelle, les solutions d’IA utilisées dans le secteur manufacturier sont conçues sur mesure. Dans cinq à dix ans, pourrait-on intégrer l’IA dès la conception des principaux outils de fabrication, comme les systèmes de gestion intégrés (ERP) et les systèmes d’exécution de la fabrication, pour automatiser les prédictions et trouver de nouvelles façons d’accroître l’efficacité? Les panélistes ont convenu que les activités de fabrication sont beaucoup trop complexes et que les configurations uniques et les variables sont trop nombreuses pour pouvoir être prises en charge par une solution « universelle » d’IA. Cependant, pour les processus de fabrication hautement normalisés, comme ceux traités par les ERP, il pourrait être possible d’utiliser certains modèles d’IA préconfigurés et de les adapter aux besoins de l’organisation.

Parmi les possibilités d’avenir, Nathan cite notamment les algorithmes génétiques, qui permettent au code d’évoluer de façon indépendante en fonction d’un ensemble de critères établis. Il affirme que ces algorithmes pourraient avoir des conséquences importantes pour l’optimisation des processus de fabrication et la conception de produits particuliers. Il a ajouté que cette méthode donnerait lieu à une « créativité artificielle » qui éliminerait la nécessité de formuler des hypothèses afin de conceptualiser des solutions uniques en peu de temps.

« Ces algorithmes permettent essentiellement de créer du temps, voire d’arrêter le temps. On peut explorer des millions de scénarios différents et faire des erreurs jusqu’à ce qu’on trouve la bonne réponse, puis appliquer cette réponse dans le monde réel », a souligné Nathan.

Selon Alexander, l’analyse et l’apprentissage automatique créent aussi des possibilités prometteuses en matière de développement durable. Par le passé, la majorité des conceptions techniques étaient le résultat d’un processus d’essais et d’erreurs, qui exige beaucoup de temps et d’argent. Aujourd’hui, à l’aube de l’adoption de nouvelles réglementations, les fabricants n’ont pas suffisamment de temps pour renouveler leurs catalogues entiers de produits afin de les rendre plus durables. En regroupant les produits pour les analyser et en appliquant les leçons apprises à propos d’un produit à l’ensemble de leur offre, les fabricants ont l’occasion de réduire considérablement le temps et le coût associés à la conception, tout en se préparant aux changements à venir.

Pour conclure, Nathan a déclaré que l’objectif ultime demeure de comprendre comment on peut combiner l’IA, les compétences humaines et l’industrie dans son ensemble pour relever les défis – le développement durable figurant parmi les plus urgents.