Cyril Cortina

Cyril Cortina

Vice-Président Energie & Utilities, Télécommunications et Médias - CGI Business Consulting

L’accélération de la transformation digitale est désormais l’enjeu majeur des organisations du secteur de l’énergie. C’est en tout cas ce que pensent 81% des entreprises du secteur dans le monde (Amérique du Nord, Europe, Australie), interrogés par CGI au printemps dernier sur leurs priorités stratégiques[1].

Jusqu’alors, ce secteur d’activité était calé sur des temps longs, correspondant aux cycles d’investissement des moyens de production et de distribution de l’énergie. Sa croissance était traditionnellement incrémentale, cadencée par ces cycles d’investissement et un cadre réglementaire qui a progressivement, ces dernières années, ouvert les marchés de la fourniture et de la production à la compétition, promu les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, donné de nouvelles responsabilités aux territoires, tout en veillant à préserver les équilibres économiques et sociaux, en particulier pour les plus démunis.

Force est de constater ces derniers mois l’accélération des réflexions et des prises de décision, dans la foulée de la COP21, pour se caler sur des temps courts, plus proches de secteurs traditionnellement plus compétitifs comme les télécommunications ou les assurances. Sentiment d’urgence économique ? Certainement. L’année 2016 a vu les prix de marché et donc les revenus traditionnels de la fourniture d’énergie s’effondrer, à un moment où il est nécessaire d’engager des investissements pour maintenir, supporter, construire les actifs de production en amont de la chaîne de valeur. Les grands acteurs désormais confrontés à ces cycles de marché ont vacillé et tâtonnent désormais pour  trouver le bon modèle dans une équation économique complexe à plusieurs inconnues. L’expansion basée sur les évolutions réglementaires, les subventions et l’endettement à long terme n’est plus viable.

Il y a également - et avant tout au-delà de ce sentiment d’urgence - des tendances de fond constatées, accélérées par des cycles de maturité technologique de plus en plus courts. Tendances qui remettent en question les modèles d’affaires des grands acteurs traditionnels, ainsi que leurs structures organisationnelles, plus numériques, décentralisées ou territorialisées, à l’instar des réseaux énergétiques.

La première de ces tendances est la « plateformisation » de la chaîne de valeur de l’énergie. Les sources de production et de consommation sont de plus en plus décentralisées, poussées par le développement des énergies renouvelables. Les compteurs communicants se généralisent, permettant la diffusion et l’échange de données brutes ou agrégées. La chaîne de valeur devient systémique, la valeur résidant dans la monétisation des données d’échanges : opérateurs de flexibilité, d’agrégation, de services fleurissent, boostés par l’API Management. Et la tendance est à l’éclatement progressif des rôles et responsabilités sur une chaîne de valeur historiquement verticalement intégrée. Demain, la blockchain[2] accélèrera le « peer-to-peer », c’est-à-dire  la possibilité pour tout auto-producteur de revendre son surplus de consommation à des tiers, sans passer par un intermédiaire ou tiers de confiance.

La seconde tendance est la place désormais centrale du consommateur final, qu’il soit particulier, entreprise ou collectivité territoriale. C’est bien lui qui aujourd’hui choisit et pilote sa consommation d’énergie, en fonction de ses usages. La valeur se décale progressivement de l’amont vers l’aval en donnant le pouvoir au client final, à l’individualisation des services. Cela a des répercussions sur le système énergétique au global : autrefois on pilotait les centrales de production en fonction des prévisions de consommation et progressivement on pilote la consommation en fonction des prévisions des centrales, de plus en plus décentralisées. Cela refond également la relation clients – de plus en plus mobile et imagée, via possiblement des intermédiaires de type GAFA - et les services qu’offriront demain les énergéticiens ou leurs concurrents. Piloter son énergie sera possible dans sa voiture, dans son entreprise, dans sa maison, via les réseaux sociaux ou les technologies mobiles. La stocker temporairement et à différents endroits sera également clé à l’avenir. Le développement de services « end-to-end » de la production décentralisée à la restitution de l’énergie en fonction de la demande occupera le jeu concurrentiel dans les prochains mois.

La troisième tendance tourne autour du partage de l’innovation. L’innovation a certes toujours été essentielle dans un secteur où les investissements ont été massifs pour couvrir les réalités physiques. Ce sont aujourd’hui les ruptures technologiques qui le font évoluer. L’accélération des cycles de décision et du « time-to-market » nécessitent une agilité, des compétences, des technologies qu’il est nécessaire d’aller chercher à l’extérieur des organisations traditionnelles. Google, Tesla, Apple, pour ne citer qu’eux, cadencent aujourd’hui les ruptures technologiques. Mais également une myriade de startups venant s’agréger autour des acteurs traditionnels qui ont l’avantage d’avoir des clients et des données, aux volumétries importantes. Les prochains mois verront de nouveaux rapprochements capitalistiques autour des batteries individuelles, des énergies renouvelables, des bâtiments connectés, de la gestion du CO2, complexifiant encore davantage la chaîne de valeur de l’énergie.

Ces dernier mois ont vu s’enclencher la mutation numérique de la chaîne de valeur de l’énergie. Ceux à venir verront la généralisation des expérimentations. Garder l’initiative est crucial pour les acteurs traditionnels du secteur, au risque de voir des intermédiaires technologiques s’emparer de la valeur autour du tryptique « énergie décentralisée, stockage et accès direct au client ». L’arrivée massive de nouvelles générations d’ingénieurs hyper connectés chez les acteurs traditionnels, nécessaires pour le renouvellement des générations dans ce secteur, contribuera certainement à permettre cette nécessaire mutation.

 


[1] Analyse annuelle réalisée par CGI auprès de 1 000 leaders issus de 9 secteurs d’activité (Banques, assurances et services financiers / CPG, retail et luxe / Energie & Utilities / Industrie / Pétrole & Gaz / Santé / Secteur public / Télécommunications et médias / Transport) et de 20 pays. Objectif : échanger avec eux sur les tendances et défis de leur industrie. En savoir plus : http://www.cgi.com/fr/analyse-global1000

[2] Instrument de gestion de micro-transactions d'énergie, rémunérées en temps réel par des micro-paiements

A PROPOS DE L'EXPERT

Cyril Cortina

Cyril Cortina

Vice-Président Energie & Utilities, Télécommunications et Médias - CGI Business Consulting

A propos de Cyril Cortina A ce titre, il est membre du comité de direction de CGI Business Consulting et assume la responsabilité et le pilotage d’une équipe de 220 consultants en France. Cyril a rejoint CGI Business Consulting ...