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D’autres défis ont émergé lorsqu’il a fallu continuer à exploiter les supply chains des services essentiels avec un virus largement propagé. Les producteurs et les distributeurs de produits alimentaires dépendent fortement de leur main-d'œuvre et doivent prendre des mesures supplémentaires pour protéger leurs salariés.

Pendant cette crise, il s'agissait notamment d'équipements de protection difficiles à obtenir et de mesures de distanciation sociale qui réduisent la capacité et la productivité dans des installations qui sont généralement conçues pour fonctionner presque au maximum de leur capacité d'utilisation.

La réponse immédiate à ces défis a été de prolonger l’amplitude horaire, d'embaucher des salariés provenant de secteurs à l’arrêt et d'échelonner les pauses pour éviter la surpopulation. Des tâches telles que le ramassage et l'emballage peuvent permettre d’occuper des employés dans des zones spécifiques afin de leur éviter d’en croiser d’autres. Les équipements de protection (gants et désinfectant par exemple) peuvent empêcher la propagation au sein des espaces communs. Ces mesures aident à lutter contre la propagation du virus mais cette propagation a tout de même eu lieu.

Les usines de transformation de viande aux États-Unis ont en particulier été scrutés à la loupe. Les employés ont subi des pressions pour maintenir l'approvisionnement en viande du pays tout en travaillant en forte proximité les uns des autres. Des centaines d'employés ont été touchés par le virus et donc de nombreux décès ont été à déplorer. Plusieurs usines de transformation de viande, parmi les plus grandes du pays, ont été contraintes de fermer. L'usine de transformation de porc de Smithfield, dans le Dakota du Sud, n'est qu'un exemple parmi d'autres, qui représente à elle seule 4 à 5 % de l'approvisionnement en viande de porc de tout le pays[1]… Le résultat de ces fermetures, c’est que les rayons des supermarchés en aval se sont vidés, tandis que les fermes en amont se sont retrouvées avec des milliers de bêtes sur les bras.

Il est impossible d'analyser cette crise sans prêter attention à la question des équipements de protection individuelle. Nous avons déjà expliqué pourquoi la pénurie d'approvisionnement a créé un risque avec de graves conséquences pour les entreprises qui sont restées ouvertes. Les équipements de protection étaient également très demandés pour prévenir la propagation du virus, en particulier par le personnel hospitalier qui était en première ligne. Ce niveau d'utilisation a représenté un changement de la demande si radical sur une période tellement courte qu'il n’a pu être satisfait. Avant l'apparition du virus, la Chine produisait 50 % des masques chirurgicaux et des respirateurs dans le monde[2]. Cela nous ramène inévitablement au débat sur la dépendance de notre supply chain à l'égard de la Chine. L’enchaînement des événements a aggravé ce déséquilibre. Comme l'épidémie est partie de Chine, il y a eu une augmentation massive de la demande de masques de protection en Chine d'abord. Cette situation a entraîné une intervention du gouvernement pour coordonner la production nationale en fonction des besoins locaux. Même avec ce niveau de production et de coordination à l’échelle nationale, la Chine a dû importer en février des masques chirurgicaux des États-Unis, d'Europe et d'autres pays asiatiques. Cependant, la situation et donc le besoin en masques se sont rapidement étendus au monde entier. En mars, la Chine avait multiplié par douze sa capacité de production, mais cela ne suffisait toujours pas à répondre à la demande mondiale. L’allocation d'une offre limitée a conduit à la thésaurisation et à la hausse des prix, ce qui a empêché d’acheminer les produits là où ils étaient les plus nécessaires.

Le problème réside dans le fait que la capacité de production est beaucoup moins flexible pour corriger les déséquilibres du marché. Si c’était simplement un problème de lieu de production, la capacité de distribution serait globalement assez flexible pour rectifier le tir. Prenez par exemple le cas des compagnies aériennes qui ont rapidement reconverti leurs avions pour transporter des marchandises depuis la Chine. L'augmentation de la production était beaucoup plus difficile et les nouvelles sources d'approvisionnement n'étaient pas forcement fiables. Les entreprises textiles ont pu réaménager leurs usines pour fabriquer des masques chirurgicaux, mais il y a eu une nouvelle pénurie de grands rouleaux de tissu, qui rendent efficaces les masques notamment en matière de filtration[3]. Pour produire davantage de ce tissu, il a fallu fabriquer des machines supplémentaires, ce qui prend en général six mois. Des millions de masques provenant de sources non vérifiées ont fini par être rappelés car défectueux dans plusieurs pays européens.

Le reste de la supply chain est resté sur la touche pendant cette période. Les consignes appelant à respecter le confinement (et donc à rester à la maison) ont entraîné l'arrêt de la demande. Pour les entreprises, le point clé durant cette période a été de rester solvable tout en payant des salaires et en disposant d’actifs qui ne génèrent aucun revenu. Les aides gouvernementales visent à combler ce fossé dans l'espoir d'une récession en V. Nous traiterons plus tard de la manière dont la supply chain peut rebondir. Analyser le déroulement de ces 14 dernières semaines permet de mieux comprendre la situation et d'identifier ce que l'on peut apprendre du passé.

Nous avons déjà évoqué la réaction impulsive qui consiste à souligner notre dépendance excessive à l'égard de la Chine. Le problème de cette conclusion, c’est que nous revenons sur des décisions du passé qui ont été prises dans des circonstances particulières. La pénurie de masques en est un excellent exemple. Les épidémies de grippe H1N1 (2009) et de SRAS (2003) ont provoqué des pénuries similaires. La France a réagi en créant un stock national de 1,6 milliard de masques[4] et Prestige Ameritech, une entreprise américaine, a investi dans la production nationale[5]. Ces décisions ont coûté de l'argent et n'étaient plus en vigueur pour l’épidémie que nous connaissons aujourd’hui. Cette crise a mis en évidence les vulnérabilités de notre supply chain. Mais être obnubilés par ces vulnérabilités ne nous préparera pas à la prochaine crise. En matière de supply chain, la clé consiste à évaluer le fonctionnement du système de bout en bout. Cette évaluation doit tenir compte des coûts totaux du système par rapport aux coûts de transaction. Les coûts totaux du système doivent également être évalués par rapport à leur niveau de risque. Corriger un point de rupture particulier qui s’est produit dans le passé équivaut à essayer de conduire une voiture en regardant dans le rétroviseur. Nombreux sont ceux qui utilisent le terme de « black swan » - un événement inattendu aux conséquences dramatiques - pour parler de l'épidémie de Covid-19.  Selon cette définition, anticiper la prochaine pandémie mondiale ne nous protégera pas contre le prochain « black swan ».