L'hydrogène suscite des réactions variées au Québec, avec ses partisans et ses détracteurs. Au-delà des débats, une réalité s'impose : l'hydrogène gris[1] est déjà utilisé dans de nombreux secteurs industriels québécois, de la pétrochimie à la production d'ammoniaque et d'équipements électroniques. Bien que l'hydrogène gris ait joué un rôle crucial dans le développement industriel, sa production génère des émissions de carbone significatives. Dans le contexte de la transition énergétique, il est souhaitable de le remplacer progressivement par ses homologues à plus faible teneur en carbone – au Québec on parle surtout de l’hydrogène vert. De plus, certains secteurs difficiles à électrifier complètement, comme la sidérurgie, les cimenteries, et les transports lourds et de longue distance, nécessiteront des solutions alternatives pour leur décarbonation. Bien que l'ampleur exacte du marché reste à déterminer, il est évident qu'une demande existera pour la décarbonation complète du Québec, et ce marché est loin d'être saturé.

Infrastructure mutualisée : Repenser les parcs industrialo-portuaires

Il est temps de repenser l'optimisation des futurs parcs industrialo-portuaires, les "vallées industrielles intégrées", pour en faire des modèles d'efficacité énergétique à l'échelle mondiale. La clé réside dans la collaboration entre les différentes industries au sein de chaque vallée. Ces écosystèmes pourraient intégrer l'hydrogène vert comme un élément d'un réseau complexe d'intrants et d'extrants.

Dans ces parcs, on trouverait des unités de production de méthanol, d'ammoniaque, d'éthanol, de gaz naturel synthétique et de carburants avancés décarbonés pour l'aviation (e-SAF). Ces produits seraient non seulement fabriqués sur place, mais aussi transportés vers et depuis les parcs, créant un flux constant de matières premières et de produits finis.

L'électricité renouvelable jouerait un rôle central dans ces vallées. Des parcs solaires installés sur les toits des usines (entre autres, celles ayant une demande de plus de de 5 MW) et les grands bâtiments, ainsi que des canopées sur les vastes stationnements, fourniraient une partie de l'énergie nécessaire. Cette production locale serait complétée par l'énergie éolienne et le réseau d'Hydro-Québec. Des systèmes de stockage par batteries et de stockage thermique permettraient de gérer les fluctuations de production et de demande. L'optimisation de la demande électrique, la gestion de la puissance et l'effacement deviendraient des pratiques courantes pour faciliter les raccordements au réseau principal et transformer progressivement ces parcs industriels en micro-réseaux autonomes et résilients.

Une symbiose industrielle innovante grâce à une infrastructure mutualisée

Dans ces vallées de l'hydrogène québécoises, la collaboration entre voisins industriels serait la norme. Un producteur d'hydrogène pourrait fournir sa production à une usine de méthanol ou d’ammoniaque voisine, tandis qu'une installation de production d'urée (un engrais) pourrait utiliser le CO2 capté d'une cimenterie proche pour son processus.

Les rejets thermiques, sous-utilisés aujourd’hui, deviendraient une ressource précieuse. La chaleur résiduelle d'une usine de production d'hydrogène pourrait, par exemple, être utilisée pour le chauffage d'une installation de production de carburants synthétiques ou pour alimenter un réseau de chauffage urbain local.

Cette approche symbiotique nécessiterait des systèmes de données robustes, modernes, auditables et cyber-sécurisés. L'arbitrage et l'optimisation de la production deviendraient des processus continus, s'adaptant en temps réel aux fluctuations des prix de l'énergie, de la demande des produits et de la disponibilité des ressources.

L'intégration du stockage énergétique, qu'il soit sous forme de batteries, d'hydrogène ou thermique, offrirait une flexibilité supplémentaire, permettant de lisser les pics de production et de consommation, et d'optimiser l'utilisation des ressources.

Une place de marché virtuelle : cœur de l'écosystème

Pour concrétiser cette vision, chaque vallée de l'hydrogène aura besoin d'une plateforme de données moderne capable de gérer une multitude de produits, bien au-delà du seul hydrogène. Cette plateforme devra être accessible à plusieurs utilisateurs qui transigent entre eux, s'intégrant avec des compteurs et des capteurs pour une gestion optimale des flux de matières et d'énergie. Elle devra permettre une gouvernance de données saine, ouvrant la voie à des applications d'IA et d'automatisation pour la prévision de la demande, l'optimisation de la production, et la maintenance prédictive. La cybersécurité sera un attribut crucial de ces plateformes collaboratives, assurant la protection des données sensibles et la résilience de l'écosystème face aux menaces numériques.

La plateforme devra être évolutive, commençant comme un produit minimal viable pour évoluer vers une solution robuste et complète. Elle devra être capable de gérer les transactions complexes entre les différents acteurs du parc, tout en s'intégrant aux systèmes logistiques externes pour le transport des produits vers et depuis le parc. Cette infrastructure numérique sera essentielle pour réaliser pleinement la transition numérique de ces vallées de l'hydrogène, permettant une utilisation efficace des ressources énergétiques et matérielles, et facilitant l'émergence de nouveaux modèles d'affaires basés sur l'économie circulaire et la collaboration inter-entreprises.

Le Québec, pionnier de l'innovation verte

Plutôt que de se concentrer uniquement sur l'hydrogène vert, il faut penser à la circularité de l'économie, à l'efficacité énergétique et à la productivité des parcs industrialo-portuaires où les usines de production d’hydrogène seront situées. Il est crucial de les intégrer intelligemment aux réseaux de transport et de logistique : ferroviaire, maritime, routier et aérien.

Les vallées de l'hydrogène pourraient devenir des hubs d'innovation où de nouvelles technologies de décarbonation seraient testées et perfectionnées. Par exemple, des systèmes de capture et d'utilisation du carbone pourraient être intégrés aux processus industriels difficiles ou impossibles à décarboner autrement, transformant le CO2 en matière première pour la production de carburants synthétiques ou de matériaux de construction comme du béton préfabriqué.

L'optimisation des flux de matières et d'énergie au sein de ces écosystèmes industriels pourrait également ouvrir la voie à de nouvelles opportunités économiques. La valorisation des sous-produits et des rejets thermiques pourrait donner naissance à de nouvelles filières industrielles, créant des emplois et stimulant l'innovation locale.

Un modèle québécois distinctif

En construisant des vallées de l'hydrogène distinctives, le Québec et son industrie manufacturière, du transport et de la logistique se prépareraient à la transition énergétique. Ces écosystèmes industriels innovants positionneraient la province comme un leader mondial dans la décarbonation intelligente et intégrée.

La vallée de l'hydrogène québécoise ne doit pas être une simple zone de production, mais un modèle d'intégration industrielle, d'efficacité énergétique et d'innovation technologique. C'est ainsi qu'une approche véritablement distinctive sera créée, adaptée aux besoins et aux ambitions de décarbonation du Québec.

Pour réussir cette transformation, il est crucial d'avoir des champions orchestrateurs dans chaque vallée. Ces organisations auront pour mission d'induire la collaboration et la circularité des échanges, en veillant à ce que chaque acteur trouve sa place et contribue à l'écosystème global. Qui prendra l’initiative? CGI appuie ces champions et veut collaborer comme partenaire technologique.

Des exemples prometteurs émergent déjà à travers la province. Le parc industriel de Bécancour, la zone industrialo-portuaire de Varennes, le pôle d'innovation de Shawinigan, ainsi que les ports de Montréal, Québec et Trois-Rivières, sont autant de sites potentiels pour le développement de ces vallées de l'hydrogène innovantes.

Cette vision holistique et collaborative est la clé pour maximiser les bénéfices de l'hydrogène vert tout en minimisant son empreinte environnementale, c'est-à-dire sa forte consommation électrique. La construction de vallées de l'hydrogène fera la fierté du Québec et inspirera le monde entier dans sa quête de décarbonation.

Ces écosystèmes industriels intégrés et intelligents seront non seulement des moteurs de la transition énergétique, mais aussi des catalyseurs d'innovation, de croissance économique et de développement durable pour les générations à venir. En misant sur l'économie circulaire et la collaboration intersectorielle, le Québec a l'opportunité de créer un modèle unique et performant, à la hauteur de son ambition et de son ingéniosité.


[1] L'hydrogène gris est produit à partir de combustibles fossiles, principalement par reformage du gaz naturel, sans capture des émissions de CO2. Ce procédé génère environ 9-10 kg de CO2 pour chaque kg d'hydrogène produit, ce qui en fait la forme d'hydrogène la plus courante mais aussi la plus émettrice de CO2.