Le nouveau modèle organisationnel technologique

L’industrie de l’énergie a atteint un tournant décisif : la technologie ne se contente plus de soutenir la main-d’œuvre, elle la façonne. [i]

Alors que les entreprises demandaient autrefois à leurs employés de suivre des processus qui utilisaient des données et étaient soutenus par la technologie, la réalité d’aujourd’hui vient renverser cette équation. Guidés par les données, les processus sont rendus possibles grâce à la technologie et sont orchestrés par les gens. [ii]

Ce changement exige une refonte fondamentale du fonctionnement des entreprises du secteur de l’énergie, des méthodes de travail et du portrait de la main-d’œuvre de demain.

Dans les articles précédents de cette série en cinq parties – des défis à venirdes occasions à saisir et la transition énergétique –, nous avons exploré les pressions croissantes sur la main-d’œuvre ainsi que les possibilités qu’attendent les personnes qui sont prêtes à s’adapter. [iii] [iv] [v]

Dans cette édition, nous décrivons comment la technologie devient le principal architecte des modèles opérationnels, les humains étant au cœur de l’orchestration, de la supervision et de l’optimisation des systèmes qui favorisent maintenant la performance.

De l’exécution à la supervision humaine

Pendant des dizaines d’années, l’industrie de l’énergie a délibérément conçu des activités afin qu’elles reposent sur l’exécution humaine. Les limites de la capacité de l’infrastructure à fonctionner de façon autonome sont alors reflétées, en partie. Ajoutons que cette approche était ancrée dans une préoccupation profonde et constante visant la sécurité des travailleurs et l’environnement.

Aujourd’hui, ce modèle organisationnel peine à répondre à la pénurie de main-d’œuvre, à la complexité organisationnelle accrue et aux progrès technologiques rapides. Les flux de travaux exécutés par l’homme sont de plus en plus insoutenables à l’échelle de l’organisation. [vi]

Le nouveau modèle qui consiste à placer l’humain au centre des activités fait en sorte que l’humain demeure essentiel là où il l’a toujours été, notamment dans le traitement des cas spéciaux, la gestion des exceptions, la réponse aux demandes en constante évolution des clients, et l’adaptation asynchrone aux progrès technologiques, le tout en assurant le transfert des tâches routinières vers l’exécution automatisée.

La technologie d’automatisation robotique des processus illustre ce concept. Un important producteur d’énergie a d’ailleurs déployé l’automatisation robotique des processus pour les tâches administratives manuelles répétitives dans la gestion des opérations. [vii] Le temps des cycles administratifs s’est amélioré de 30 %, tandis que le taux d’erreur et les risques ont été réduits. Surtout, le peu d’effectifs humains disponibles a été réaffecté à des postes de surveillance et d’aide à la décision à valeur supérieure, et la satisfaction des employés a augmenté à mesure qu’ils étaient déchargés des tâches routinières.

Ce modèle libère les ressources les plus rares – comme le temps – afin que les travailleurs du secteur de l’énergie aient davantage l’occasion de stimuler le genre de pensée critique et créative que les systèmes automatisés ne peuvent reproduire.

Des actifs et des systèmes plus intelligents

Pendant la majeure partie de son histoire, l’industrie du pétrole et du gaz était exploitée avec des pompes, des compresseurs, des réservoirs et des appareils de chauffage de très basse technologie. Dans le meilleur des cas, ces actifs fournissaient des données analogiques au moyen de jauges et de cadrans physiques, ce qui nécessitait par une inspection manuelle l’évaluation des conditions d’exploitation.

Une grande partie de l’infrastructure actuelle est encore en place, n’est pas connectée et, en pratique, est invisible à moins qu’un travailleur se rende sur place. Ce modèle n’est pas encore désuet et ne le sera pas de sitôt. En effet, il est trop coûteux de moderniser un actif en cours d’exploitation par des technologies actuelles. Les actifs plus anciens demeurent donc en service jusqu’à la fin de leur vie utile, avec seulement quelques adaptations.

Toutefois, la nouvelle génération d’actifs est différente :

  • Les jumeaux numériques reflètent la performance des actifs en temps réel;
  • Les capteurs et les plateformes de l’Internet des objets fournissent des flux de données continus à haute fréquence;
  • L’IA et l’apprentissage machine détectent les anomalies et optimisent les activités sans attendre une intervention humaine.

Dans un avenir prévisible, l’industrie exploitera un modèle hybride comprenant des installations déjà en place mais légèrement mises à niveau grâce à des outils supplémentaires, dans la mesure du possible, et de nouvelles installations modernes conçues à partir de rien, pour des opérations intelligentes.

Une installation de gaz naturel liquéfié en Australie illustre cet avenir. [viii] Au lieu de remplacer complètement ses pompes analogiques et ses jauges, l’opérateur a monté des caméras intelligentes orientées vers les jauges, sans interrompre le traitement. L’IA a interprété les lectures du cadran, a acheminé les données vers un système de planification et n’a envoyé les opérateurs qu’aux pompes qui nécessitaient une attention particulière. Les pompes sont restées de base, mais le système autour d’elles est, lui, devenu intelligent.

Dans les environnements complexes, les progrès importants ne sont pas motivés par un contrôle rigide, mais par la capacité de détecter et de réagir en temps réel.

Cette approche à plusieurs niveaux, qui consiste à améliorer ce qui est possible d’améliorer et à concevoir intelligemment ce qui doit être conçu de la sorte, sera la marque distinctive des exploitants avisés et habiles de demain.

Un arrière-guichet prêt pour l’automatisation intelligente

À l’instar de l’exploitation, les fonctions administratives du secteur de l’énergie, notamment la comptabilité, la chaîne d’approvisionnement et les ressources humaines, ont été conçues pour une ère centrée sur l’humain, et fondée sur un grand effectif administratif bon marché. Comme pour les opérations, ce modèle n’est plus viable.

L’automatisation intelligente redéfinit la façon dont les sociétés énergétiques gèrent ces systèmes de soutien essentiels :

  • L’approvisionnement fondé sur l’intelligence artificielle permet de prédire les besoins en approvisionnement, de négocier les prix et de signaler les risques contractuels avant qu’ils s’aggravent.
  • Les systèmes d’inventaire automatisés ajustent de façon dynamique les stratégies de stockage en fonction des données réelles de consommation.
  • Les plateformes de logistique intelligente optimisent le routage, la planification, et la sélection des fournisseurs sans intervention manuelle.

Un exemple est celui d’un producteur d’énergie qui a déployé des outils d’automatisation pour simplifier la gestion des billets de son centre de services en TI à l’échelle mondiale, réduire les émissions de carbone, faire gagner du temps au personnel, et gérer la conformité. [ix]

L’automatisation des points de décision courants dans l’ensemble des chaînes d’approvisionnement et des opération d’arrière-guichet vient libérer des capacités humaines pour les tâches stratégiques – comme l’optimisation des contrats, l’établissement de partenariats avec les fournisseurs et la gestion des risques –, grâce à des équipes allégées et intelligentes.

Répercussions sur l’effectif : gestion des systèmes et non seulement des actifs

La future main-d’œuvre du secteur de l’énergie continuera d’exploiter la myriade de pompes, de cuves et de compresseurs de basse technologie du secteur. Cependant, ils vont de plus en plus gérer aussi des systèmes intelligents qui fonctionnent de façon autonome.

Ce passage de l’exécution humaine à la supervision humaine redéfinit l’ensemble des compétences, des capacités et des aptitudes que les sociétés d’énergie doivent attirer, développer et conserver. Ce profil de travailleur est rare et très convoité.

Voici les caractéristiques qu’aura la main-d’œuvre de l’avenir dans le secteur de l’énergie :

  • Réflexion axée sur l’écosystème : Capacité et intérêt à comprendre comment les actifs, les flux d’énergie et les systèmes numériques interconnectés interagissent, non seulement dans une usine, mais aussi dans l’ensemble des écosystèmes de l’énergie.
  • Interprétation et jugement : Capacité à confirmer et à hiérarchiser les renseignements obtenus par l’IA et à y donner suite en faisant preuve d’un jugement critique à l’égard des recommandations fondées sur la machine.
  • Gestion des exceptions : Courage et motivation à intervenir lorsque des systèmes automatisés font face à des cas uniques, à des perturbations à variables multiples ou à des nouveaux scénarios organisationnels.
  • Optimisation continue : Faire preuve de discipline pour maintenir les activités, optimiser la performance des actifs, et améliorer les flux de travaux de façon dynamique.
  • Collaboration homme-machine : Aisance à collaborer avec l’IA, l’automatisation et la robotique – superviser et façonner les systèmes numériques en tant que partenaires actifs et non en tant qu’utilisateurs passifs.
  • Adaptabilité et maîtrise du numérique : Capacité à s’adapter rapidement à l’évolution des plateformes, des interfaces et des systèmes de données – apprentissage continu et non cyclique.
  • Surveillance éthique et réglementaire : Veiller rigoureusement à la conformité de l’automatisation avec les normes de sécurité, les normes environnementales et les cadres organisationnels éthiques.
  • Mentalité de résilience : Orientation vers l’innovation et la recherche d’occasions d’affaires, la réflexion stratégique, la collaboration, les communications et l’action.

La prochaine génération de travailleurs ne se contentera pas d’exploiter les systèmes; elle les façonnera.

En réalité, il faudra des années avant que les systèmes d’éducation réorientent et forment de nouvelles cohortes de professionnels de l’énergie possédant des compétences numériques. [x] Le renforcement et l’adaptation des compétences de la main-d’œuvre actuelle constituent la seule voie viable pour demeurer concurrentiel.

Conclusion : une main-d’œuvre formée par la technologie

L’avenir du secteur de l’énergie ne repose pas sur une main-d’œuvre plus importante, mais sur une main-d’œuvre plus intelligente, plus agile et plus stratégique. La technologie définissant maintenant le travail, elle effectue une grande partie du travail directement, les sociétés d’énergie vont repenser leur approche en matière d’opération, de conception de la main-d’œuvre et de structure organisationnelle.

À l’avenir, les entreprises commencent à concevoir des flux de travaux et des processus autour de systèmes intelligents – les humains étant au centre de l’action comme orchestrateurs, décideurs et intendants de l’amélioration continue.

Ceux qui s’adapteront pourront évoluer plus intelligemment, exploiter plus facilement, innover plus rapidement et créer de la valeur.

Ceux qui s’accrochent aux modèles d’exécution centrés sur l’humain seront incapables de rivaliser dans une industrie qui exige de la rapidité, de l’intelligence et une réinvention en continu.

Dans la prochaine ère du secteur de l’énergie, ce ne seront pas les plus grandes entreprises qui gagneront. Ce sera les plus intelligentes.

 


Cet article a été co-écrit par les deux experts suivants :

Geoffrey Cann,Défenseur de l'innovation numérique dans l'énergie Peter Warren,Vice-président, Responsable mondial de l'industrie, Énergie et services publics, CGI
GeoffreyCann
Peter Warren

Si vous souhaitez obtenir plus d'information sur notre travail dans ce domaine, n'hésitez pas à communiquer avec Peter.


Références

[i] Techstep.io. 2024. « The Rise of the Gen Z Workforce: Addressing Mobile Technology Needs of Digital Natives ». 15 janvier 2024. https://www.techstep.io.

[ii] Akter, Shahriar, Saida Sultana et Samuel Fosso Wamba. 2024. « Tackling the Global Challenges Using Data-Driven Innovations ». Annals of Operations Research, 5 février 2024. https://link.springer.com/article/10.1007/s10479-024-05851-2.

[iii] Warren, Peter et Geoffrey Cann. 2025. « La main-d’œuvre de demain dans le secteur de l’énergie : des défis à venir ». https://www.cgi.com/canada/fr-ca/article/energy-and-utilities/la-main-doeuvre-de-demain-dans-le-secteur-de-lenergie-des-defis-venir.

[iv] Warren, Peter et Geoffrey Cann. 2025. « La main-d’œuvre de demain dans le secteur de l’énergie : des occasions à saisir ». https://www.cgi.com/canada/fr-ca/article/energy-and-utilities/la-main-doeuvre-de-demain-dans-le-secteur-de-lenergie-des-occasions.

[v] Warren, Peter et Geoffrey Cann. 2025. « La main-d’œuvre de demain dans le secteur de l’énergie : la transition énergétique ».

[vi] Carrières dans le secteur de l’énergie. 2024. « La main-d’œuvre du secteur de l’énergie au Canada : Perspectives du marché du travail national à l’horizon 2035 ». 14 mars 2024. https://careersinenergy.ca/.../FINAL_CIE-National-Outlook-FR_Apr-25.pdf.

[vii] « An Interview with Cory Bergh and Michele Taylor », entrevue par Geoffrey Cann, transcription 21 octobre 2019, geoffreycann.com/interview-cory-bergh-michele-taylor.

[viii] Eltringham, Emma, Leon Burgin et Shawn Fernando. 2023. « Sense, Insight, Action and Automation – Remote Operations Using a Digital Twin ». Article présenté à la conférence LNG2023, Vancouver (Canada), du 10 au 13 juillet 2023. https://cdn.asp.events/.../Eltringham_Emma_Woodside-Energy_8XARKWWN96.pdf.

[ix] CGI. Client Success Story: Shell Service Process Automation. Présentation PowerPoint. Consulté le 30 avril 2025.

[x] Cambridge University Press and Assessment. 2023. « Curriculum and Assessment Reform: Learning Loss to Long-Term Resilience ». https://www.cambridge.org.