Deux des hypothèses opérationnelles les plus ancrées du secteur de l’énergie ont changé à tout jamais. Autrefois exploitées par une main-d’œuvre abondante et peu coûteuse, au moyen de technologies onéreuses et limitées, les entreprises sont aujourd’hui confrontées à une pénurie chronique de main-d’œuvre et à une explosion du nombre d’outils d’automatisation abordables et très performants [i].
Cet article fait suite à deux autres publications ‘La main-d’œuvre de demain dans le secteur de l’énergie : des défis à venir', et ‘La main-d’œuvre de demain dans le secteur de l’énergie : des occasions à saisir', qui portaient sur les forces qui influent sur la main-d’œuvre de demain dans le secteur de l’énergie [ii] [iii]. Ces pressions étant établies, nous tournons maintenant le regard sur l’ère de la transition énergétique et ce qu’elle représente pour la main-d’œuvre.
Contrairement aux consommateurs d’énergie du secteur industriel, dont la grande majorité peut se permettre de s’approvisionner en énergie propre, les producteurs d’énergie comme les pétrolières et les gazières doivent gérer activement trois défis distincts en matière de transition énergétique :
- continuer de fournir de l’énergie conventionnelle sur un marché stagnant ou en déclin;
- diversifier leurs activités en misant sur de nouvelles occasions énergétiques et des carburants de remplacement devant une demande incertaine;
- passer à des sources faibles en carbone pour la consommation d’énergie interne [iv].
Il ne suffit plus de compter exclusivement sur l’intervention humaine pour relever avec succès ces défis. La main-d’œuvre de demain devra être réduite, plus spécialisée et s’y connaître dans le domaine du numérique [v].
En outre, il est évident que les contraintes technologiques qui nous freinaient jadis ne s’appliquent plus. Les sociétés énergétiques qui restructurent leurs processus pour s’adapter à une exécution axée d’abord sur l’automatisation (approche « automation-first ») seront les mieux positionnées pour réagir aux pénuries de main-d’œuvre. À titre d’exemple pertinent, la toute dernière usine à hydrogène vert d’Iberdrola dispose d’un système de contrôle du processus de production de bout en bout [vi]. Ceux qui ne réussissent pas à s’adapter risquent d’avoir du mal à demeurer compétitifs sur un marché où le talent se fait de plus en plus rare.
Cet article traite de l’ère de la transition énergétique et de l’influence qu’exercent sur elle les caractéristiques de la main-d’œuvre de demain. De prochains articles porteront sur la main-d’œuvre à l’ère du numérique et l’évolution de la main-d’œuvre du point de vue humain.
La transition énergétique est une transformation du processus d’affaires
Pour les producteurs pétroliers et gaziers en amont, la transition énergétique représente un triple défi : maintenir la production actuelle, diversifier les produits énergétiques et adopter des carburants durables pour l’utilisation interne. Les producteurs doivent maintenir les volumes selon des marges acceptables, dans un marché stagnant ou en déclin, afin de satisfaire les marchés de capitaux et les parties prenantes. Toutefois, l’attrition des effectifs et la hausse du coût de la main-d’œuvre font en sorte que le maintien de la production à l’échelle nécessite le remplacement de la main-d’œuvre par des capitaux et des tâches manuelles par le numérique.
Ce défi va au-delà de la production. De nombreux producteurs envisagent des occasions de diversifier leur panier énergétique, que ce soit par le captage du carbone, l’hydrogène, la géothermie, les énergies renouvelables, et même le nucléaire [vii]. Dans certains cas, les nouvelles sources d’énergie, comme la géothermie et le captage du carbone, permettent de miser sur des processus déjà en place, comme le forage et la complétion.
Cependant, d’autres sources d’énergie exigent des façons de travailler, des compétences techniques et des écosystèmes entièrement nouveaux. Même au cœur de la production d’hydrocarbures de base, les entreprises, notamment des chefs de file comme Chevron, déploient des pompes à énergie solaire, des systèmes de production autonome et des dispositifs de surveillance des émissions fondés sur l’IA [viii]. Ces transitions exigent par ricochet de nouvelles compétences dans la conception, les opérations, la maintenance et le soutien commercial, ce qui entraîne la transformation des effectifs techniques et administratifs.
La transition énergétique ne se résume pas seulement à une transition technologique. Elle transforme la façon dont l’énergie est produite, gérée et monétisée.
Les processus énergétiques existants ont été conçus à une époque où l’exécution humaine était le modèle par défaut, parce qu’il n’y avait pas d’automatisation, les processus étaient prescrits par des cadres réglementaires ou les conditions économiques incitaient à l’utilisation de flux de travail nécessitant d’importants effectifs. Dans le contexte actuel, le simple fait d’ajouter l’automatisation aux méthodes centrées sur l’humain déjà en place ne compense pas les contraintes inhérentes à ces méthodes.
Pour maintenir la production, les entreprises seront forcées de remodeler les opérations en vue d’une exécution axée d’abord sur l’automatisation, en repensant aux méthodes de gestion des actifs, de suivi de la conformité et de prise de décisions en matière de production.
La gestion de l’énergie industrielle : un renouveau s’impose
Pour les producteurs d’énergie, la transition énergétique signifie aussi une consommation plus efficace de l’énergie dans le cadre des opérations actuelles, tout en réduisant le plus possible les émissions. L’énergie représente l’un des coûts d’exploitation les plus importants en amont, mais il s’agit aussi d’un facteur direct de production d’émissions de méthane et de CO2, selon l’IEA [xi].
Les estimations techniques de l’énergie et des émissions se sont révélées systématiquement différentes de la réalité en ce qui a trait à la consommation et aux émissions sur le plan des actifs. Une étude récente du bassin permien, réalisée par satellite, suggère que la quantité d’émissions correspond au double des estimations d’inventaire ascendantes [x]. Les producteurs avisés reconnaissent qu’un suivi plus précis de la consommation d’énergie réelle permet de réaliser des économies, d’accroître la production et de réduire les émissions.
Pour les grands producteurs qui possèdent des centaines de puits, de multiples installations de traitement et de vastes réseaux intermédiaires, il est impossible d’effectuer le suivi manuel de la consommation d’énergie et des émissions sur le plan des actifs. Pourtant, sans données précises et en temps réel, les entreprises risquent de commettre des erreurs dans leurs déclarations des émissions, de dépenser trop d’énergie et de sous-optimiser la production.
Les progrès numériques permettent désormais d’assurer un suivi de la consommation d’énergie et des émissions réelles, en temps réel, sur le plan des actifs. Au lieu de s’appuyer sur des estimations techniques, les plateformes de gestion de l’énergie gérées par l’IA recueillent des données réelles en continu, cernent les inefficacités et procèdent à des ajustements automatisés pour optimiser à la fois la consommation et la production. CGI a récemment aidé une société pétrolière et gazière canadienne à créer le jumeau numérique d’un actif de production afin de détecter les fuites plus rapidement, en tirant parti des données satellite, des données provenant des capteurs de l’usine et des images vidéo en direct [xi].
Les entreprises qui intègrent dans leurs opérations l’optimisation de l’énergie et des émissions basée sur les données gagneront certainement un avantage concurrentiel, car elles pourront réduire les coûts tout en garantissant la conformité avec les normes d’émissions de plus en plus strictes. Celles qui continueront de dépendre de modèles statiques et d’interventions manuelles seront de plus en plus exposées à la fois aux risques réglementaires et aux inefficacités opérationnelles.
Le rôle du numérique et de l’innovation dans l’exécution de nouveaux processus
Le passage à une gestion de l’énergie fondée sur les données, de pair avec l’adoption de la transition énergétique, concorde avec la transformation globale de l’industrie : l’automatisation est le fondement des opérations. Les mêmes outils analytiques puissants qui optimisent l’utilisation de l’énergie et le suivi des émissions modifient également la façon dont la production est gérée, dont les actifs sont entretenus et dont les décisions sont prises. En effet, les entreprises en amont qui exercent leurs activités dans des zones de ressources étanches se comportent davantage comme des usines de ressources que comme des foreurs d’exploration, utilisant des processus reproductibles, des technologies intelligentes qui améliorent les opérations et des chaînes d’approvisionnement résilientes que les recherches de CGI sur la fabrication ont permis de décrire [xii].
Ce ne sont plus les humains qui recueillent des données, mais des capteurs et des systèmes gérés par l’IA qui fournissent des données en temps réel. Les ajustements manuels sont remplacés par des contrôles automatisés qui optimisent les performances en temps réel. L’IA compile, vérifie et soumet automatiquement des données précises; les équipes de conformité n’ont plus à assembler les rapports d’émissions. Le modèle qui permet le mieux l’adoption de cette approche est celui qui place l’humain au centre — il dirige, façonne et oriente.
L’innovation numérique permet d’atteindre de nouveaux niveaux d’efficacité, de compréhension et de résilience opérationnelle.
Cette transformation offre à la fois efficacité et extensibilité, permettant aux entreprises qui privilégient l’automatisation de gérer les actifs à l’échelle sans augmenter les effectifs de manière linéaire.
La main-d’œuvre de demain : plus restreinte, plus intelligente et privilégiant l’IA
Il est évident que la main-d’œuvre du secteur pétrolier et gazier en amont subit actuellement un changement fondamental. Alors que la production reposait autrefois sur de grandes équipes de terrain, des inspections manuelles et des opérations pratiques, la main-d’œuvre de demain sera plus restreinte, plus spécialisée et axée sur la gestion de l’automatisation.
Au lieu d’essayer de remplacer un par un les travailleurs qui partent à la retraite, les entreprises devraient vigoureusement repenser le travail lui-même, en approfondissant l’automatisation, en accélérant l’utilisation de l’IA et en adoptant des flux de travail numériques afin qu’un nombre beaucoup plus restreint de travailleurs puisse superviser des opérations plus importantes et plus complexes. Des solutions comme l’automatisation robotique des processus de CGI illustrent la façon dont la technologie peut prendre en charge une grande partie du travail auparavant réservé aux humains [xiii].
Selon cette vision de la main-d’œuvre de demain, le travailleur n’a plus le même rôle. Au lieu d’exécuter des tâches manuellement, les effectifs travailleront à la conception, à la gestion et à l’optimisation de systèmes intelligents. Il n’en demeure pas moins que l’expertise humaine reste essentielle — l’humain est placé au cœur de cette approche. En investissant dans le développement des compétences des travailleurs pour qu’ils puissent gérer les opérations axées d’abord sur l’automatisation, on obtiendra une main-d’œuvre plus restreinte, plus agile et beaucoup plus productive.
Conclusion : les entreprises qui mènent la course seront les premières à s’automatiser
La main-d’œuvre du secteur pétrolier et gazier en amont n’est plus en expansion, elle subit une transformation. La transition énergétique exige une nouvelle approche : des opérations axées d’abord sur l’automatisation, une prise de décision fondée sur l’IA et une main-d’œuvre qualifiée pour superviser les systèmes numériques plutôt que pour exécuter des tâches manuelles.
La transition énergétique ne concerne pas seulement les nouveaux carburants — il s’agit de réinventer la manière dont les entreprises énergétiques fonctionnent, ainsi que les produits qu’elles proposent. Les entreprises qui agissent maintenant pour développer une main-d’œuvre plus restreinte, plus intelligente et axée sur l’IA définiront l’avenir de l’industrie.
Cet article a été co-écrit par les deux experts suivants :
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Références
[i] « US Petroleum Engineering Graduation Rates Keep Falling, but Oil Execs Are Not Complaining Yet », Journal of Petroleum Technology, consulté le 23 janvier 2025.
[ii] CGI. 2024. La main-d’œuvre de demain dans le secteur de l’énergie : des défis à venir. CGI. https://www.cgi.com/canada/fr-ca/article/energy-and-utilities/la-main-doeuvre-de-demain-dans-le-secteur-de-lenergie-des-defis-venir.
[iii] CGI. 2024. La main-d’œuvre de demain dans le secteur de l’énergie : des occasions à saisir. CGI. https://www.cgi.com/canada/fr-ca/article/energy-and-utilities/la-main-doeuvre-de-demain-dans-le-secteur-de-lenergie-des-occasions.
[iv] Atlantic Council. 2021. The Role of Oil and Gas Companies in the Energy Transition. Washington, DC: Atlantic Council. https://www.atlanticcouncil.org/in-depth-research-reports/report/the-role-of-oil-and-gas-companies-in-the-energy-transition/
[v] National Skills Coalition. 2022. New Report: 92% of Jobs Require Digital Skills; One-Third of Workers Have Low or No Digital Skills Due to Historic Underinvestment, Structural Inequities. Washington, DC: National Skills Coalition. https://nationalskillscoalition.org/news/press-releases/new-report-92-of-jobs-require-digital-skills-one-third-of-workers-have-low-or-no-digital-skills-due-to-historic-underinvestment-structural-inequities/
[vi] CGI. 2023. Permettre le contrôle de bout en bout de la plus grande usine d’hydrogène vert à usage industriel d’Europe. CGI. https://www.cgi.com/fr/etude-de-cas/energie-services-publics/permettre-controle-bout-en-bout-plus-grande-usine-hydrogene-vert-industriel-Europe.
[vii] Mitsubishi Corporation. 2024. ADNOC Joins ExxonMobil and Mitsubishi Corporation’s Low-Carbon Hydrogen Project in Texas. 4 septembre 2024. https://www.mitsubishicorp.com/jp/en/news/release/2024/0000054472.html.
[viii] Chevron, AI Boosts Profitability in the Permian Basin, 18 décembre 2024, https://www.chevron.com/newsroom/2024/q4/ai-boosts-profitability-in-the-permian-basin.
[ix] International Energy Agency. 2023. Emissions from Oil and Gas Operations in Net Zero Transitions. Paris: IEA. https://www.iea.org/reports/emissions-from-oil-and-gas-operations-in-net-zero-transitions.
[x] Brandt, Adam R., Thomas Yeskoo, Amanda Zavala-Araiza, David R. Lyon, R. Subramanian, et Steven P. Hamburg. 2020. « Airborne Measurements of Methane Emissions from Oil and Gas Production Basins in the U.S. » Science Advances 6 (17): eaaz5120. https://doi.org/10.1126/sciadv.aaz5120.
[xi] CGI’s digital twin solution for Canadian oil and gas company.
[xii] CGI. 2024. Intelligence artificielle (IA) et diversification — Une double stratégie pour accroître la résilience des entreprises manufacturières. https://www.cgi.com/fr/blog/secteur-manufacturier/intelligence-artificielle-ia-et-diversification-une-double-strategie-pour-accroitre-la-resilience-des-entreprises-manufacturiere.
[xiii] CGI. 2024. Automatisation robotique des processus (ARP). Consulté le 26 mars 2025. https://www.cgi.com/fr/automatisation/rpa