Conversation avec Eric Chaniot, Chief Digital Officer & Senior Vice Président de Michelin
 


Eric Chaniot
Chief Digital Officer & Senior
Vice Président de Michelin

Selon le Baromètre mondial CGI, les dirigeants des fonctions d’affaires et des TI voient de plus en plus de possibilités prometteuses dans l’analyse, ce qui les pousse à s’orienter vers les données et à instaurer des cultures d’entreprise qui encouragent l’utilisation de celles-ci de façon plus systématique. D’après les perspectives que nous avons recueillies en 2019 lors d’entretiens avec plus de 1 500 dirigeants d’entreprises clientes, ceux-ci affirment que l’utilisation de l’analyse de données sera leur principal domaine d’investissement en innovation au cours des trois prochaines années.

Eric Chaniot, Chief Digital Officer & Senior Vice Président de Michelin, pilote la transformation digitale du groupe. Son but : transformer Michelin en « leader du monde digital, spécialiste de la mobilité et des services associés ». Dans une récente entrevue accordée à CGI, il discute de cette transformation et de la façon dont les données changent le cours des choses.

Michelin vit sa « quatrième révolution industrielle ». Quelle est la place de la data dans cette stratégie?

Nous poursuivons deux objectifs pour les trois prochaines années : d’abord, faire de Michelin une data-driven company pour bénéficier de la data dans tous nos métiers, notamment dans la recherche et le développement (R&D), la supply chain, le manufacturing, etc. Ensuite, commencer à utiliser l’intelligence artificielle dans un certain nombre de domaines.

Une des valeurs historiques de Michelin, c’est le respect des faits et rien n’est plus factuel que la data. Un exemple : quand je fais changer l’huile de ma voiture, le garagiste m’annonce toujours la date approximative à laquelle je devrais faire la prochaine vidange. Mais comme j’utilise peu ou beaucoup mon véhicule, cette date n’est finalement jamais la bonne! Alors que si la voiture m’indique elle-même ce dont elle a besoin, via un simple voyant sur le tableau de bord, l’information est plus précise et il est de fait plus difficile de la remettre en question. C’est ça, l’apport de la data : des informations irréfutables, fiables, compréhensibles.

Notre ambition est donc d’utiliser la donnée pour imaginer et offrir de nouveaux services, innovants, à nos clients. Notre ambition est donc d’utiliser la donnée pour imaginer et offrir de nouveaux services, innovants, à nos clients. Nous souhaitons dans cette veine devenir le leader du pneu connecté, partout dans le monde. Avec des pneumatiques qui préviennent le conducteur : « c’est le moment de changer les pneus », ou « c’est le moment de faire une rotation des pneus ». Et ce, en fonction du type de conducteur que vous êtes, de votre parcours habituel, des routes empruntées, et ainsi de suite. Donc des usages réels, pas ceux que l’on déclare, parce qu’on sait qu’il y a toujours un décalage entre les faits et notre vision de ces faits, entre la réalité et la perception de cette réalité.

Quels sont les étapes et axes clés de votre stratégie data?

Ils sont constitués de quatre dimensions clés :

  1. La proximité. Le digital en général, et la data en particulier, doivent nous offrir un mode d’engagement, une compréhension et une intimité inégalée avec nos clients, pour nous permettre de créer un lien extrêmement fort.
  2. La symétrie des attentions. Grâce à la relation unique et aux liens tissés via le digital, vous pouvez offrir à vos clients les services et produits qu’ils attendent. À partir du moment où vous proposez de formidables services digitaux à vos clients, vous devez impérativement les offrir aussi à vos collaborateurs. Nous portons une attention particulière à ce point.
  3. L’amélioration continue. La data et le « digital manufacturing » doivent nous permettre d’optimiser nos opérations. C’est déterminant et créateur de valeur pour la supply chain, pour la R&D et sa puissance d’innovation, pour les chaînes de production...
  4. Dernier point, l’automatisation et la co-création. Quand vous souhaitez lancer un nouveau service ou produit, sonder ou interroger les utilisateurs permet souvent de constater l’écart entre la proposition et ce que les utilisateurs pensent vraiment. Nous regardons de près l’adoption et l’utilisation réelles, pas seulement les éléments déclaratifs. Notre obsession est vraiment d’obtenir une vision du monde non biaisée, autour de la data. C’est vrai pour les tests auprès de nos clients, pour nos discussions internes avec nos collaborateurs, et pour les projets menés en co-design et co-création.

Chez Michelin, nous avons développé une solide politique d’innovation, et nous croyons beaucoup à la notion de minimum viable product (MVP, produit minimum viable). On lance des POC (Proof of Concept), afin de sortir la solution le plus rapidement possible, puis grâce à la data on vérifie si elle est cohérente, viable.

Quel modèle d’organisation avez-vous mise en place autour de la data?

Il faut bien comprendre que la data n’est pas une question digitale, pas un problème IT. C’est plutôt une notion qui doit concerner toute l’entreprise. Nous sommes donc en train de mettre en place un modèle d’organisation hybride avec d’une part une organisation centrale, qui s’occupe de la gouvernance, la cybersécurité, la compliance, le choix des technologies structurantes, le déploiement des plateformes, etc. Nous sommes convaincus qu’il faut rester au plus proche des métiers pour devenir une data-driven company, et rechercher dans les différentes Business Units, régions et fonctions, des personnes qui vont utiliser de manière concrète la Data. On crée ainsi des équipes qui mêlent des data owners dans les métiers, avec des data analysts, data scientists, data engineers. On vise le meilleur des deux mondes, en mariant les bénéfices d’une organisation centrale et ceux d’une organisation décentralisée.

À partir du moment où vous êtes convaincus, comme nous, que la donnée est une composante essentielle pour prendre de meilleures décisions et mener plus efficacement vos actions, il faut diffuser la culture data à tous les niveaux de l’organisation. Nous avons par exemple lancé une plateforme de marketing automation. Dans un premier temps, on encourage les équipes marketing à partager leurs insights; puis, dans un second temps, on les incite à prendre en main, personnellement, les actions et les projets data qui les concernent, et à mesurer le résultat de ces actions. Le but n’est pas que chacun devienne un expert, mais que tout le monde puisse a minima comprendre l’environnement et les avantages de la data. Ça signifie quoi, dans votre métier, pour vos problématiques? Par rapport à vos besoins? Qu’est-ce que ça vous apporte concrètement? On fait beaucoup de pédagogie, on va lancer une « Digital Academy »… La data, comme la transformation digitale, c’est 95 % de change management et 5 % seulement de technologie.

Vous avez abordé votre transformation digitale de manière très volontaire. Comment s’en inspirer?

Michelin est le moteur de l’innovation depuis 130 ans, ce qui facilite les choses. Tout le monde ici se rend compte que la data est clé pour notre business, et nos dirigeants sont convaincus depuis longtemps de l’intérêt du digital. Cette implication du top management est vraiment cruciale. Nous avons recruté un Chief Data Officer en début d’année, qui reporte uniquement auprès du Chief Information Officer et de moi-même. De mon côté, je reporte directement à notre CEO. C’est très important, car synonyme de circuit de décision court. Quand une décision est prise, tout le monde se met en ordre de marche pour la mettre en œuvre rapidement.

Ensuite, l’organisation est primordiale. Nous veillons ainsi à mélanger les équipes pour bénéficier de l’apport des collaborateurs issus du digital comme de ceux venus des différents métiers. Ce mariage entre les compétences et les connaissances est très enrichissant et favorise la créativité.

Il est aussi important, selon moi, de regarder ce qui se passe à l’extérieur de son organisation. Observez, inspirez-vous, en particulier de tout ce qui concerne l’intelligence artificielle (IA). Il s’agit là d’une révolution majeure dont on ne mesure pas encore totalement l’impact et qui demande du temps. J’en suis convaincu : quel que soit votre cœur de métier, il sera bouleversé d’une manière ou d’une autre par l’IA. Les entreprises qui feront la différence sont celles qui seront capables de combiner tout le potentiel exceptionnel de leurs collaborateurs et celui de l’IA. C’est notre vision chez Michelin.

Eric Chaniot, Chief Digital Officer & Senior Vice Président de Michelin

Eric Chaniot est directeur de la stratégie numérique chez Michelin, où il travaille depuis 2015. Il est responsable de l’élaboration et de l’accélération de la transformation numérique de la société dans l’ensemble des activités de celle-ci, notamment dans les expériences des consommateurs et des entreprises. En plus de posséder 30 ans d’expérience dans le domaine des technologies, Éric a créé des solutions clés en main pour aider des entreprises internationales à devenir plus numériques, innovantes et automatisées.