Résumé : Daren Rudd, responsable des services de conseil en technologie et en innovation, Secteur de l’assurance, chez CGI au Royaume-Uni, a rédigé un article pour le magazine Finance Derivative (Royaume-Uni) sur le problème de la transformation numérique. Les chefs d’entreprise sont soumis à une pression « incessante » pour transformer numériquement leurs activités. Cependant, Daren pense que le terme lui-même « crée de la confusion et décourage les personnes qui devraient adhérer aux objectifs que nous essayons d’atteindre ». Il estime que les mots ont de l’importance et que mal utilisés, ils peuvent semer la confusion. Par exemple, le mot « numérique » donne l’impression qu’il s’agit d’une activité axée sur la technologie, alors qu’en réalité, la transformation numérique est « une activité axée sur les personnes ». En outre, si les projets de transformation numérique ont besoin d’une direction pour réussir, leurs points d’arrivée ne sont pas fixes puisque le changement est continu. 

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Le problème de la transformation numérique

La pression exercée sur les dirigeants pour qu’ils transforment numériquement leur entreprise est incessante. Cependant, je crois que le terme lui-même crée de la confusion et décourage les personnes qui devaient adhérer aux objectifs que nous essayons d’atteindre. L’expression a pour simple but de regrouper les projets de changement, alors quelle est l’importance du nom? Les équipes impliquées savent ce qu’elles font, n’est-ce pas? Si vous êtes impliqué dans un programme de transformation numérique, demandez-vous combien de fois vous devez expliquer ce qu’il accomplit réellement.

D’après mon expérience, les mots ont de l’importance. Lorsque nous utilisons les mauvais mots, nous semons la confusion. Nous perdons du temps à expliquer ce que nous voulons dire et rendons ainsi les choses plus difficiles. La transformation numérique dans le secteur de l’assurance est déjà assez difficile, nul besoin de la compliquer davantage.

Le problème du projet Phénix

Au début de ma carrière, j’ai travaillé sur le projet Phénix. Honnêtement, à ce jour, je ne pourrais pas vous dire ce qu’il était censé apporter. Ce que j’ai entendu constamment, tant de la part des équipes techniques que des équipes d’affaires, c’est « ne vous inquiétez pas, le projet Phénix résoudra ce problème ». En fin de compte, le projet a échoué, car il s’est gonflé d’un champ d’application supplémentaire et ne s’est pas concentré sur un problème spécifique. Le nom a masqué l’objectif. Il est devenu un dépotoir de problèmes, d’espoirs, d’attentes et de rêves brisés. En fin de compte, personne n’était satisfait, car chacun avait une vision différente de l’objectif à atteindre.

Les mots aident ou obscurcissent l’intention et le sens. Ils alignent ou dispersent la direction de l’énergie d’une équipe, et les programmes de changement ont besoin de beaucoup d’énergie concentrée pour réussir.

Ce que nous entendons réellement par « numérique »

En utilisant le mot « numérique », un programme de changement donne immédiatement l’impression qu’il est axé sur la technologie. Si la technologie est bien sûr impliquée, la transformation numérique est en réalité une activité centrée sur les personnes. Il s’agit de changer le mode de fonctionnement des entreprises pour faciliter la vie des gens, qu’il s’agisse de clients, d’usagers, de patients, d’employés ou de fournisseurs.

Nous passons une grande partie de notre temps à expliquer aux parties prenantes que la transformation numérique concerne en réalité les personnes, les processus et les produits. Cela me fait dire que nous n’utilisons pas les bons mots. Les équipes risquent ainsi de perdre de vue leur objectif, de s’attacher à la technologie plutôt qu’aux personnes et à leur raison d’être. C’est pourquoi nous nous retrouvons avec des grille-pain à commande vocale.

Parlons de transformation

La transformation suggère qu’il existe un point final fixe, comme une chenille qui se transforme en papillon. Cependant, dans cette analogie, une fois que le papillon s’est transformé, il reste un papillon jusqu’à ce qu’il meure. Il ne peut pas continuer à s’adapter. Si un projet de changement a besoin d’une orientation pour réussir, le point d’arrivée n’est pas fixe. Votre marché, vos clients et vos concurrents continueront d’évoluer, de sorte qu’une échéance fixe de trois à cinq ans posera problème. Ce que nos programmes de transformation devraient faire, c’est créer une entreprise capable de s’adapter plus facilement à un monde qui change à un rythme de plus en plus rapide.

Connaissez-vous votre raison d’être?

Nous devons comprendre pourquoi nous effectuons cette transformation numérique. Selon une étude récente, 92 % des entreprises ont du mal à comprendre et à définir les avantages de leurs projets de changement, ce qui me semble impensable.

Pour réussir, il est important d’expliquer simplement et clairement comment nous améliorons la vie des gens. Il ne s’agit pas toujours de résultats financiers; les raisons plus subtiles pour lesquelles nous faisons les choses sont tout aussi importantes. Rendre quelque chose agréable à utiliser est difficile à définir, mais c’est ce qui a fait d’Apple l’entreprise la plus riche au monde.

S’il faut transformer l’entreprise, transformez l’entreprise

Trop souvent, la « transformation numérique » se contente d’ajouter une couche de nouvelles technologies aux produits et processus existants ou, en d’autres termes, de mettre du rouge à lèvres numérique sur des cochons existants. Ce n’est pas une réelle transformation. Nous le faisons depuis trop longtemps dans ce secteur.

Ces produits et processus originaux étaient limités par ce que nous pouvions faire avec la technologie de l’époque (qui reposait encore souvent sur du papier et des cerveaux). Ils ont également été conçus à une époque où l’on se contentait des transformations lentes. Ce n’est plus le cas. Les entreprises doivent vraiment se demander si elles réfléchissent suffisamment à la réorganisation de leurs propositions aux clients.

Soyez comme l’eau, restez fluide

Avec le terme « transformation numérique », le conseil d’administration risque d’entrevoir un projet informatique qui rendra l’entreprise « prête au numérique » à une date précise. De nos jours, les affaires et la technologie sont intrinsèquement liées. La capacité à changer et à se réorienter (et l’investissement permanent nécessaire pour soutenir cette évolution) sera une constante, et non un projet de transformation ponctuel.

En réalité, ce que nous faisons est un changement beaucoup plus fondamental des principes commerciaux et des modes de fonctionnement et de pensée. Avec l’engouement récent autour de l’impact potentiel de GPT4 et d’autres grands modèles de langage, nous pouvons constater qu’il est difficile de prédire comment ce changement se produira, de sorte que la capacité d’adaptation de l’organisation constituera un avantage concurrentiel clé.

Parlons affaires, pas affaires numériques

L’utilisation du mot « numérique », qui sonne comme un mot « informatique », met l’accent sur la dimension technique de la discussion sur le changement, alors qu’il s’agit en fait de discuter des personnes, des produits et des processus. Toutes les entreprises d’envergure s’appuient sur la technologie, même s’il s’agit d’un système construit dans les années 70. Fondamentalement, la technologie existe pour apporter de la valeur à l’entreprise, et aujourd’hui les deux sont en symbiose.

La technologie est désormais implicite en affaires. Une entreprise adaptable et prête pour l’avenir est une entreprise où il n’y a pas de séparation entre les affaires et la technologie. La stratégie d’entreprise et la stratégie technologique sont discutées avec la même voix. Alors, parlons affaires.

Si ce n’est pas la transformation numérique, qu’est-ce que c’est?

En fin de compte, il ne s’agit pas vraiment des termes que nous utilisons, mais de l’intention que nous mettons derrière ceux-ci et de l’importance d’éviter le piège du « projet Phénix », où votre programme de transformation numérique devient un assemblage de tout ce que vous souhaiteriez améliorer.

En s’inspirant du cadre « Jobs to Be Done », il faut, dans de nombreux cas, créer une entreprise qui s’adapte en permanence. Chez CGI, nous appelons cela être prêts pour l'avenir, mais le sens peut être différent pour chaque entreprise. Je pense que nous devrions utiliser moins de termes accrocheurs et plus de mots. Nous devons utiliser des termes qui décrivent le problème que nous cherchons à résoudre d’une manière compréhensible pour l’ensemble de l’entreprise. Ensuite, nous utiliserons davantage de mots et de descriptions lorsque nous passerons au prochain problème à résoudre.

Ce n’est pas aussi simple que la transformation numérique, mais, à mon avis, c’est nettement plus efficace.

Cet article a été publié le 23 mai 2023 dans Finance Derivative, (en anglaise) un magazine international d’analyse financière et commerciale couvrant l’industrie financière, le commerce international et l’économie mondiale.