Dans cette deuxième partie du plus récent épisode de notre série de balados Parlons transition énergétique, les experts de CGI Peter Warren et Tom van der Leest s’entretiennent avec le secrétaire général d’Eurelectric, Kristian Ruby, pour approfondir les questions abordées dans la première partie, soit les principaux moteurs de la transition énergétique ainsi que les défis et occasions s’y rattachant. Ils se penchent sur la nécessité de mettre en place une réglementation et la complexité que supposerait une telle démarche, sur le rôle des marchés centraux dans un avenir décentralisé et sur l’importance croissante de l’électrification, de l’intelligence artificielle (IA) et de la cybersécurité dans le marché de l’énergie en constante évolution.

Kristian Ruby
Kristian Ruby
Secrétaire général d’Eurelectric

La réglementation et le rôle des marchés centraux dans un avenir décentralisé

Pour assurer une participation équitable et égale au sein du nouveau marché de l’énergie, il est nécessaire d’adopter une réglementation rigoureuse. Toutefois, puisque le niveau de complexité réglementaire augmente continuellement, les clients et les décideurs ont du mal à suivre le rythme. Les clients doivent composer avec le fait que la conformité à un règlement peut contrevenir directement à un autre, et les décideurs se butent à plusieurs obstacles dans leurs efforts pour mettre en œuvre les changements requis et produire des rapports à mesure que de nouveaux règlements voient le jour.

Puisque la décentralisation demeure une tendance clé, la question suivante se pose : Quel est le rôle des marchés centraux et des organismes de réglementation dans un avenir décentralisé?

Kristian croit qu’il s’agit d’une question à laquelle il faut se presser de répondre et considère que le marché local de la flexibilité deviendra une tendance beaucoup plus marquée au cours des prochaines années : « Pour améliorer l’efficacité et la fiabilité des opérations, il faudra nous tourner vers des sources de flexibilité locales, faire appel à ces sources plus souvent et nous montrer plus attentifs aux signaux du marché afin de stabiliser le réseau, qui s’avère de plus en plus complexe, numérisé et centralisé. »

Les gouvernements se heurtent à plusieurs contraintes lorsqu’ils élaborent des lignes directrices pour des marchés aussi complexes et changeants. Les directives stratégiques de haut niveau ne se transposent pas toujours en mesures concrètes adaptées aux subtilités des activités courantes. Pour améliorer la situation, Tom recommande de procéder par étape en commençant par les solutions à portée de main.

L’aube de la décennie de l’électricité

Kristian cible un autre domaine d’évolution continue : la véracité et la fiabilité de l’énergie propre : « Nous avons parlé d’équité et de fiabilité, mais il y a aussi la question de l’énergie propre. Dans le cas de l’hydrogène vert, nous voulons nous assurer qu’il est vraiment “vert”. C’est là qu’entrent en jeu toutes ces questions à propos de la proximité géographique et de l’adéquation opportune entre la production d’électricité propre réelle et les électrolyseurs. La configuration d’une plateforme numérique et la définition de produits concrets constituent le prochain défi que doivent relever les entreprises du secteur numérique et les fournisseurs d’énergie pour déterminer ensemble la suite des choses.

Selon Kristian, l’atteinte d’un juste équilibre entre l’intégrité environnementale et les systèmes gérables est le principal défi à relever, puisque les organisations passent à un modèle horaire ou trimestriel plutôt qu’annuel pour prouver que leur énergie est verte.

Kristian ne doute pas qu’un avenir multivectoriel sera la voie la plus efficace et la plus rentable à l’avenir, mais insiste sur le fait que l’électricité occupe désormais une place centrale au sein du système énergétique. Qualifiant les années 2020 de « décennie de l’électricité », il explique que ce secteur d’activité connaît une croissance, une expansion et une transformation sans précédent.

De nombreuses régions doivent composer avec de nouvelles réglementations techniques en matière de capacité électrique et de réseau. Parlant de cet enjeu comme le prochain grand problème à résoudre en raison des objectifs en matière d’énergies renouvelables, Kristian souligne deux domaines d’intérêt clés : les ententes contractuelles de connexion au réseau en vue de réduire la congestion, ainsi que le déploiement de nouvelles solutions pour optimiser l’utilisation du réseau.

La nécessité de réglementer l’IA sans restreindre son rôle dans la transition énergétique

Dans la plupart des cas, explique Tom, un défi de l’ordre du capital humain se pose aussi pour permettre aux réseaux d’atteindre le niveau de capacité requis pour répondre à la demande. « Dans l’industrie, on parle de la quantité d’énergie renouvelable que nous voulons produire et de la façon dont nous produisons cette énergie, mais ces discussions ne font que déboucher sur des questions comme “Combien de temps nous reste-t-il?” et “Comment allons-nous y parvenir?” Il faudrait plutôt se demander comment nous allons nous organiser pour faire cela intelligemment. » Selon Tom, l’IA est essentielle pour réduire l’effort humain et optimiser les actifs.

Bien que Kristian reconnaisse également les possibilités qu’offre l’IA pour soutenir la transition énergétique, il affirme que les règlements en matière d’IA qui entreront en vigueur en Europe sont trop stricts et restreignent indûment l’utilisation de cette technologie pour les infrastructures, les composantes ou les actifs essentiels : « À titre d’exemple, l’utilisation d’un drone aux fins d’exploitation et de maintenance sur une ligne de réseau serait limitée, ce qui serait dommage, car tout le monde utilise des drones à cet effet. Ce serait la même chose pour les systèmes de gestion numérique si tout d’un coup on interdisait le recours à l’IA. Essentiellement, une réglementation trop contraignante entrave plutôt que facilite la transition. »

Kristian ajoute que nous devons trouver le juste équilibre entre l’adoption de normes de sécurité rigoureuses pour l’IA et son utilisation dans le secteur de l’électricité, tout en permettant le déploiement d’une technologie qui permet l’adoption d’une approche judicieuse.

Le fragile équilibre entre ouverture et sécurité

Un autre élément déterminant pour l’équilibre relevé par Peter est le compromis risque-rendement qui existe entre les possibilités offertes par les solutions numériques novatrices et la sécurité des données. Des millions de nouveaux points de données et de nouvelles connexions, de même que des connexions existantes connues et inconnues, donnent lieu à de nouveaux modèles d’affaires, mais aussi à des risques accrus en matière de cybersécurité.

Faisant référence à la foulée des lois pertinentes qui voient actuellement le jour, Kristian convient que l’équilibre entre ouverture et sécurité est un enjeu crucial. Selon lui, « On ne peut gérer la cybersécurité à l’ère de l’IA sans recourir à l’IA. Nous devons mettre en place des mesures de protection en matière d’IA aux fins de protection contre les cyberattaques impliquant des milliers ou des millions d’acteurs indépendants qui coordonnent leurs attaques au moyen de réseaux zombies qui ne sont peut-être même pas contrôlés par l’humain. »

En ce qui concerne la stratégie de sécurité, Tom croit qu’un changement de mentalité est nécessaire pour certaines organisations. En plus de considérer la sécurité comme une dépense en raison du fait qu’elle ne génère pas de revenus, nombreuses sont les organisations qui ont du mal à définir une stratégie de sécurité, car elles adoptent une approche traditionnelle selon laquelle les technologies de l’information (TI) et les technologies opérationnelles (TO) demeurent dissociées. « Bon nombre de ces entreprises doivent élargir leur perspective et considérer la sécurité comme un enjeu qui concerne non seulement les utilisateurs finaux, mais aussi les personnes qu’elles emploient », suggère-t-il.

Enfin, malgré les différentes approches en matière de transition énergétique abordées dans les première et deuxième parties de cette conversation avec Kristian, il est clair que le rôle des systèmes numériques ne fera que s’élargir et leur utilisation s’accroître, que ce soit au moyen de systèmes pour valider la qualité des différents produits, de plateformes de marché par l’entremise desquelles nous interagissons ou de produits grâce auxquels nous assurons la sécurité de notre approvisionnement énergétique.

Kristian termine sa réflexion en se penchant sur l’avenir de l’innovation numérique dans la transition énergétique: « En ce qui me concerne, l’IA et la façon dont cette technologie transformera tous les aspects dont nous avons discuté sont des sujets qui me passionnent vraiment. »

Écoutez d’autres balados de cette série pour en apprendre davantage sur la transition énergétique.