Henry Kolowrat

Henry Kolowrat

conseiller principal en management, Centre-Est de l’Europe

La criminalité financière ne cesse d’augmenter, et le suivi des tendances dans ce milieu instable est à la fois crucial et complexe. Pour vous aider à suivre le rythme, nous abordons dans ce billet de blogue cinq des plus grandes tendances à surveiller dans les prochains mois. Tirées de nombreux rapports prévisionnels sur la criminalité financière publiés dans les dernières semaines, ces tendances sont toutes aussi importantes les unes que les autres, mais nous les avons classées en ordre de priorité décroissant selon le niveau d’effort anticipé pour chacune.

1.  Accroître l’efficacité des sanctions actuelles et à venir

L’imposition de nouvelles sanctions continuera de tester les limites des processus de conformité actuels et d’obliger les organisations à innover sur le plan technologique. L’année dernière, les autorités du secteur ont adopté des régimes de sanctions complexes et se sont concentrées sur la mise en œuvre de sanctions touchant une gamme d’entités et de particuliers aussi vaste que possible. Cette année, nous supposons et espérons qu’elles mettront l’accent sur l’amélioration de l’efficacité de ces régimes de sanctions.

Le renforcement des sanctions oblige les institutions financières à redoubler d’efforts pour identifier correctement le type de mesures de prévention appliquées aux entités ou aux particuliers d’un territoire donné, et pour déterminer leurs conséquences sur chaque transaction. Mais la plus grande difficulté consiste sans doute à comprendre les relations complexes relatives à la propriété effective ainsi que les structures de contrôle qui y sont associées, selon lesquelles le risque est parfois transféré à une entité qui n’est autrement soumise à aucune sanction. La compréhension de la propriété effective est essentielle à l’efficacité des sanctions et exige que les acteurs du milieu exploitent les données, établissent des définitions et des seuils uniformes à l’échelle mondiale, assurent l’interconnectivité de leurs systèmes, et aient accès à des registres des bénéficiaires effectifs.

Mais bien que la complexité des structures organisationnelles représente un défi constant, un grand nombre de solutions de contrôle des sanctions peinent toujours à traiter des données en formats simples comme les dates de naissance, les noms et les translittérations, même dans les messages structurés. Par conséquent, beaucoup d’institutions financières chercheront à améliorer leurs capacités de contrôle des sanctions, et beaucoup décideront ultimement de changer de fournisseur. Nous traversons actuellement une période décisive qui pourrait donner lieu à une réorganisation du marché, et les grands fournisseurs de solutions habituels n’en sortiront peut-être pas gagnants.

2. Tout en temps réel, tout à la fois

L’augmentation constante de la demande mondiale des consommateurs en matière de services instantanés – de l’intégration des clients jusqu’aux paiements intérieurs et internationaux, en passant par l’achat de produits financiers (p. ex. assurance, fonds commun de placement, prêts) – est une autre tendance à surveiller. Pour répondre à cette demande, les institutions doivent développer en parallèle plusieurs solutions de lutte contre la criminalité financière. On s’attend désormais à ce que les systèmes de connaissance des clients, les solutions de contrôle des sanctions et des embargos, et les programmes antifraude soient capables d’évaluer le risque associé à un client potentiel ou à une transaction avant d’aller de l’avant.

Autrement dit, les solutions de lutte contre la criminalité financière doivent fonctionner en temps réel ou, au minimum, prédire les résultats avec un degré de fiabilité raisonnable, en plus d’apprendre de leurs erreurs. Cette exigence « tout en temps réel », conjuguée à la complexité inouïe des sanctions dont nous avons discuté ci-dessus, crée un défi de taille pour les équipes de conformité et les fournisseurs de technologies.

Les virements transnationaux instantanés en différentes devises qu’offrent beaucoup de fournisseurs de services financiers (comme Revolut) ajoutent encore à la complexité. Nous savons par exemple qu’il est possible d’envoyer rapidement des fonds pour rembourser un ami qui a payé pour notre repas. Cette situation en soi n’est pas complexe. La difficulté réside dans l’analyse des messages que l’expéditeur envoie au destinataire. Ces messages peuvent contenir de précieux indices sur la raison d’une transaction potentiellement suspecte. De plus, ces messages sont transmis dans une variété de formats, dont des fichiers GIF (images animées). Existe-t-il des programmes de lutte contre le blanchiment d’argent qui sont prêts à offrir un tel degré d’analyse?

C’est pour cette raison que beaucoup d’organismes de réglementation financière des marchés européen et nord-américain évaluent actuellement le degré de contrôle à exercer pour les paiements intérieurs et instantanés. Nous recommandons aux banques et aux fournisseurs de services de paiement de participer aux consultations de l’industrie et aux groupes de travail autant que possible pour trouver de nouvelles méthodes de contrôle des paiements à la fois efficaces et réalistes.  

3. L’essor de l’intelligence artificielle (IA)

Les tendances décrites ci-dessus contribuent à la croissance constante de bassins de données complexes, ce qui oblige les organisations à multiplier leurs ressources. Les équipes de conformité, qui mobilisent beaucoup d’effectifs et entraînent des coûts élevés, ne peuvent pas passer la majorité de leur temps à traiter des faux positifs. L’IA est une solution. À mesure que l’IA optimisera la priorisation des alertes et que les organismes de réglementation deviendront plus confiants envers ce processus, les banques s’empresseront d’ajouter une dimension d’intelligence artificielle aux modèles basés sur des règles de leurs systèmes existants, du moins dans un avenir prochain.

Toutefois, il est primordial que les organismes de réglementation homologuent les modèles d’intelligence artificielle éprouvés. Une fois que ces organismes admettront le fait que pour allouer plus de ressources aux alertes à risque élevé, il faut accorder moins d’attention et de ressources aux alertes à faible risque, nous observerons une adoption massive et rapide de l’IA. Autrement dit, nous avons des choix à faire, et l’IA peut nous aider à les faire.

L’utilisation de l’IA, déjà courante dans les processus d’intégration des clients, de vérification des documents et de détection de la fraude, continuera également de s’intensifier, surtout dans le contexte de la révolution du temps réel que nous observons actuellement. En période de grande incertitude économique, on constate habituellement une hausse de la fraude et du crime financier. Nous devons nous préparer non seulement à une augmentation des volumes, mais aussi à l’apparition de nouvelles méthodes de fraude inusitées ciblant les particuliers et les entités.

L’IA peut faciliter toutes les mesures décrites ci-dessus de deux grandes façons. Premièrement, elle peut aviser rapidement les banques en cas de comportements anormaux chez leurs clients. Elle peut notamment repérer le piratage psychologique, un type de fraude que les systèmes traditionnels ont souvent de la difficulté à détecter. Deuxièmement, en optimisant la priorisation, l’IA peut faciliter le traitement d’un pourcentage élevé de faux positifs, un défi de taille à l’échelle de l’industrie.

Nous recommandons aux institutions qui s’intéressent au potentiel de l’apprentissage automatique dans ce domaine de définir leurs objectifs aussi clairement que possible et de collaborer avec un fournisseur de services d’IA pour effectuer des démonstrations de faisabilité initiales. La définition exacte de l’échantillon de données et des questions de recherche à explorer est une étape essentielle qui aidera les banques à convaincre les organismes de réglementation de l’utilité de l’IA. 

4. Partage de l’information, meilleure coopération et actions concertées

Nous réalisons actuellement que nous devons nettement augmenter notre taux de réussite collectif en ce qui concerne la détection du crime organisé et la prévention des flux financiers illicites. Par conséquent, le nombre d’initiatives visant à améliorer le partage de données, d’informations et de connaissances se multiplie rapidement. En 2022, d’importantes organisations internationales et des organismes de référence dans la lutte contre la criminalité financière ont publié des rapports et des recommandations portant sur les façons de mettre en œuvre ces initiatives et de respecter les exigences de protection de la vie privée tout en accroissant la transparence. L’une des principales recommandations issues de ces documents encourage les organisations à unir leurs forces pour définir des cas d’utilisation précis et déployer des technologies améliorant la protection des données personnelles.  

De telles initiatives collaboratives peuvent prendre la forme de partenariats public-privé thématiques, comme le projet Anton au Canada (un projet de lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages dirigé par la Banque Scotia et le CANAFE), l’initiative Transaction Monitoring Netherlands (un consortium néerlandais de surveillance des transactions composé de cinq banques privées), ou la plateforme de partage d’information financière COSMIC à Singapour (grâce à laquelle les institutions financières peuvent aviser leurs pairs en cas de comportement suspect).

Toutefois, cette tendance à la collaboration va au-delà du simple partage d’information. Elle incite aussi les organisations à harmoniser leurs intérêts, leurs attentes ainsi que leurs cadres juridiques et réglementaires. Cette année, l’Union européenne (UE) instituera l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ALBC), qui renforcera le cadre réglementaire et supervisera la lutte contre le blanchiment d’argent à l’échelle de l’UE. Cet organisme devrait faciliter les activités des banques et de leurs clients partout dans l’UE. Les banques présentes dans plusieurs États membres peuvent se préparer à profiter des avantages de cette initiative en assurant l’interopérabilité de leurs systèmes, formats de données et processus.

5. Surveillance accrue des domaines non bancaires  

Les décideurs politiques et les organismes de réglementation sont de plus en plus conscients du fait que certains services professionnels permettent la circulation d’actifs sanctionnés ou illicites dans nos systèmes financiers. Les fournisseurs de services de conseil juridique, de comptabilité, de courtage immobilier et de consultation stratégique font partie des contrevenants potentiels et continueront d’attirer l’attention des décideurs politiques et des organismes de contrôle. Les sanctions sectorielles interdisant l’exportation de services professionnels vers la Russie imposées l’an dernier sont un exemple concret de cette tendance.

Dans la même optique, les organismes de réglementation accorderont aussi une attention particulière aux organisations de pari et de jeu afin de contrer la circulation d’argent sale découlant de ces activités. D’ailleurs, en janvier 2023, la Commission du jeu du Royaume-Uni a infligé une lourde amende à une entreprise de jeu en raison de ses manquements en matière de responsabilité sociale et de lutte contre le blanchiment d’argent. 

Le resserrement de la surveillance des domaines non bancaires sera l’un des principaux moteurs de croissance pour le marché de l’impartition de la lutte contre le blanchiment d’argent, dont la taille devrait doubler dans les cinq prochaines années. Les fournisseurs de technologies de lutte contre la criminalité financière devront développer des modèles de risque et d’affaires pour répondre aux besoins de leurs clients dans ce secteur. En outre, les banques, gestionnaires de fonds, assureurs et autres organisations souhaiteront évaluer leurs systèmes de connaissance des clients, de connaissance des activités et de surveillance des transactions pour s’assurer qu’ils font un suivi adéquat des clients et des opérations à risque élevé, et pour adapter leurs modèles de risque aux modifications mineures des réglementations.

Bref, notre capacité collective à prévenir, détecter, freiner et intercepter les flux financiers illicites et les activités frauduleuses est relativement basse, et nous avons des choix à faire. Nous devons continuer de progresser sur tous les plans, que ce soit en renforçant les politiques, en appliquant la réglementation, en stimulant l’innovation technologique ou en améliorant la collaboration.

Selon le rapport The State of Financial Crime 20231, 99 % des répondants issus du domaine de la conformité prévoient de réévaluer leur profil de risque cette année, et plus de la moitié comptent procéder à des embauches ou à une transformation technologique et organisationnelle.

Depuis plus de 40 ans, CGI collabore avec des institutions financières pour concevoir, mettre en œuvre et exploiter des solutions de lutte contre la criminalité financière qui contribuent non seulement à la prévention et à la répression du crime, mais qui améliorent également les résultats financiers. Pour en savoir davantage sur notre expérience et nos capacités ou pour discuter des tendances abordées ci-dessus, n’hésitez pas à communiquer avec moi.

1 Ce rapport est fondé sur une enquête menée auprès de 800 cadres supérieurs et dirigeants du secteur de la conformité aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, à Singapour, à Hong Kong et en Australie. Le rapport de ComplyAdvantage peut être téléchargé ici : https://get.complyadvantage.com/insights/the-state-of-financial-crime-2023.

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À propos de l’auteur

Henry Kolowrat

Henry Kolowrat

conseiller principal en management, Centre-Est de l’Europe

Henry Kolowrat compte plus de 25 ans d’expérience à divers postes de direction dans la région du Centre-Est de l’Europe.