Les économies circulaires sont devenues un sujet inévitable lors des discussions entourant la lutte contre les changements climatiques et les avenues pour bâtir un avenir durable pour le secteur manufacturier. Cet article fait le résumé d’une récente discussion de groupe qui a eu lieu lors de l’événement « Le pouvoir de l’unification du secteur manufacturier » portant sur le concept des économies circulaires et le rôle central qu’occupe le partage des données afin de faciliter cette transition.

Les participants à la discussion de groupe rassemblaient : Adrian von Mühlenen, BASF; Philipp Leschinski, BMW; Melanie Luckey ainsi que Virgil Raibulet, Henkel; Joerg Walden, iPoint-systems; Holger Berg, Wuppertal Institute; ainsi que Marco Burk et Ralf Schippert, CGI. 

L’importance grandissante de l’économie circulaire

Aujourd’hui, le développement durable est une priorité stratégique pour les fabricants. D’après M. Berg, les économies circulaires sont un moyen pour les entreprises d’adopter le développement durable, tant sur le plan des ressources que sur le plan de la consommation énergétique. Les réglementations, particulièrement celles de l’Union européenne, prônent une telle approche. De plus, les économies circulaires offrent une proposition attrayante pour atténuer les pénuries qui touchent la chaîne d’approvisionnement et l’approvisionnement en ressources. Cette proposition permet également aux fabricants de repenser leurs approches de production et de vente de produits ainsi que de conception de nouveaux modèles d’affaires.

Les économies circulaires reposent sur l’idée de l’union d’une multitude d’entreprises en vue d’un objectif commun, et pas seulement sur le plan écologique, mais également sur le plan économique. Cette approche s’applique particulièrement aux petites entreprises, pour qui les économies circulaires apportent plusieurs avantages financiers, dont des économies potentielles sur les coûts des matériaux ainsi que d’autres avenues rendues possibles grâce à de nouveaux modèles d’affaires axés sur le recyclage et le reconditionnement des matériaux.

M. Berg cite la vitre et le métal à titre d’exemples, ajoutant que la remise à neuf est une autre de ces avenues qui peut être rapidement mise à l’échelle pour tirer des gains considérables sur le plan du développement durable. Cependant, malgré la panoplie d’objectifs communs, les données demeurent l’élément central de cette transition.

Le rôle essentiel des données

Des modèles de données qui permettent un libre-échange et un partage de l’information sont nécessaires au soutien d’une économie circulaire. En même temps, ces données doivent être contextualisées pour en extraire des renseignements exploitables. « Nous devons les [données] raffiner pour être en mesure de grimper la pyramide : données, information, connaissance, sens critique », indique M. von Mühlenen. Pour y arriver, « nous avons besoin d’utiliser le même langage normalisé pour facilement échanger de l’information entre les différentes parties prenantes. Une interopérabilité des données est donc essentielle », poursuit-il. L’interopérabilité permet aux fabricants de se connecter aisément entre systèmes maîtres de gestion des données et d’obtenir les renseignements nécessaires au développement de méthodologies et de règles afin de comprendre leur empreinte carbone.

Dans le cas de Catena-X , son livre de règle a d’abord été rédigé dans l’optique de définir et établir ces normes pour identifier l’empreinte carbone d’un produit. Maintenant, il est utilisé pour mettre au point un modèle de données pour les passeports de batterie. « Il s’agit du fameux système d’information où nous sommes totalement agnostiques sur le plan des systèmes, mais où nous pouvons tout de même décrire les différentes entités et leurs relations [au sein de ce système] », dit M. von Mühlenen.

Pour BASF, qui entre dans le marché du recyclage des batteries, cela lui permettra d’établir, de même que pour l’ensemble du secteur, un langage normalisé pour les données, de tracer et de suivre les informations requises. M. von Mühlenen explique que ces données leur permettront de concevoir un jumeau numérique pour tracer les informations relatives à un produit tout au long de son cycle de vie. Lorsqu’un produit atteint la fin de sa vie, ces données peuvent être exploitées afin de prendre des décisions éclairées sur la façon dont ses différentes composantes seront réutilisées.

Déstructuration des silos

Les données sont la clé, mais leur exploitation apporte son lot de défis. Les organisations ont tendance à travailler en structures cloisonnées (silos) qui deviennent de plus en plus volumineuses à travers l’ensemble de la chaîne de valeur. Travailler à l’intérieur de silos nuit au partage de données et empêche les organisations de se fonder sur les données. Réduire ces écarts entre silos et transformer le partage de données en une économie circulaire exigent des changements à l’échelle de l’organisation, dont le système de données et le processus de réflexion de tous les gens touchés par ces changements.

Bien sûr, l’échange de données apporte ses propres défis quotidiens, notamment en ce qui concerne les API ainsi que les modèles de données et d’affaires. Ainsi, à l’heure actuelle, « il n’existe pas de réelle interopérabilité », indique M. von Mühlenen.

Passeport de produit

Les données sont un élément fondamental du concept de « passeport numérique de produit ». M. Raibulet explique que les passeports de produit offrent aux centres de récupération ou aux fabricants donnant une deuxième vie aux produits l’information complète concernant les matériaux d’un produit donné. Cette information reste accessible des années après la date de fabrication du produit, ce qui permet de désassembler un produit au regard de ses composantes et de la façon dont celles-ci peuvent être réutilisées. Il ajoute que Henkel tient particulièrement à ce niveau de transparence et l’exige tout autant de la part de ses fournisseurs. « Nous voulons normaliser les données et voulons ces écosystèmes auxquels les fournisseurs désirent se connecter », dit-il. L’autre solution serait de se connecter à chacun des clients, ce qui est impossible.

Il explique que ce haut niveau de transparence en ce qui concerne les produits donne un sens à leur fin de vie, puisque cela soutient la fabrication, la réutilisation et le recyclage de ceux-ci. « Il est essentiel de travailler dans l’ensemble de la chaîne de valeur et d’acheminer les données à l’écosystème pour avoir la transparence nécessaire pour mettre en œuvre une économie circulaire », ajoute Mme Luckey.

Cependant, accéder aux données pertinentes et en extraire la bonne information est une problématique importante et complexe. Par exemple, une matière jugée « sécuritaire » il y a de cela 20 ans peut très bien être considérée comme toxique et dangereuse à recycler de nos jours. De plus, les réglementations et les critères de conformité n’étaient pas les mêmes entre les secteurs, les régions et les pays.

Inspirer la confiance au sein des écosystèmes

Pour ajouter à ce défi, M. Burk note que plusieurs participants prennent part à la conception des économies circulaires et que c’est la confiance qui est le moteur de cette collaboration. M. Schippert ajoute que les plateformes de données et les systèmes de TI peuvent connecter les participants, mais que ces écosystèmes doivent être dignes de confiance. M. Raibulet explique que les réseaux d’économie circulaire sont beaucoup plus complexes que les chaînes d’approvisionnement auxquelles nous sommes habitués : « Pour qu’ils fonctionnent, nous avons besoin de l’accord et de la volonté de tous les acteurs de partager leurs données et leurs informations dans une certaine mesure. 

Nous nous attendons à rencontrer une certaine réticence à ce partage de données, particulièrement lorsque des solutions de propriétés intellectuelles sont en jeu. Plusieurs entreprises éprouvent des difficultés à partager les données pertinentes tout en protégeant leurs facteurs de différenciation. Il faut trouver un moyen de partager les bonnes informations aux bonnes parties en protégeant sa valeur commerciale. La volonté de partager les données est directement liée à la complexité du produit. Les risques de partage chutent de façon importante lorsqu’il s’agit d’un produit simple, dit M. Schippert. Il décrit la pratique « un au-dessus, un au-dessous » de Catena-X qui veut que les fabricants soient transparents seulement avec leurs fournisseurs directs et non pas avec l’ensemble du réseau.

S’attaquer aux risques de cybersécurité liés aux écosystèmes

Le rapport La voix de nos clients CGI 2022 révèle que si 65 % des dirigeants interrogés ont mis en œuvre une stratégie de cybersécurité dans l’ensemble de leur entreprise, seulement 29 % d’entre eux ont étendu cette stratégie à leur écosystème externe. Puisque les organisations se dirigent de plus en plus vers des écosystèmes complexes, la cybersécurité, dans son ensemble, a dû également se complexifier. Toutefois, les économies circulaires peuvent offrir une réponse aux organisations plus petites qui n’ont pas encore eu l’occasion d’investir dans leur stratégie de cybersécurité. En se joignant à de tels écosystèmes, elles peuvent immédiatement tirer avantage des outils de sécurité fournis par d’autres lorsque vient le temps de mettre au point leur réseau.

M. Burk compare ce scénario à la transition vers le nuage. « Au début, les gens disaient qu’il y aurait des problèmes de sécurité parce que les données sont maintenant situées ailleurs. Pourtant, le temps nous a démontré que les mesures de sécurité des environnements infonuagiques sont généralement plus rigoureuses que celles établies par les entreprises auparavant », dit-il. Il ajoute que les écosystèmes bâtis sur des partenariats solides peuvent soutenir des environnements stables et sécurisés.